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écrivains les plus distingués dans ce groupe des poètes politiques ? Les Chants du veilleur de nuit n’occupent-ils pas une place digne d’estime entre M. Anastasius Grün et M. Herwegh ? Pourquoi ces railleries ? Pourquoi lui faire débiter ce plaisant optimisme et l’affubler de la perruque du docteur Pangloss ? Mais n’en demandons pas si long ; M. Heine ne se soucie pas toujours d’être juste dans ses persiflages, et il ne faut pas le trop chicaner sur ses spirituelles étourderies. Ce qu’il y a de plus clair, c’est que le poète est bien décidé à démasquer joyeusement tout ce qu’il y a de vain et souvent d’emphatique dans cette poésie politique si confiante et si orgueilleuse. Il lui semble que ses confrères se prennent beaucoup trop au sérieux. Leurs grands airs de Brutus, leurs superbes allures de tribuns l’amusent singulièrement. Quoi ! tant de bruit ! quoi ! de si éloquens appels au peuple germain ! une foi si candide dans l’énergie allemande, dans les forces vives de ce peuple qu’on invoque ! On je suis bien trompé, ou cet esprit fin, subtil, voltairien, ne voit dans les vers de M. Herwegh ou de M. Dingelstedt qu’une rhétorique sonore ; tout au plus leur accordera-t-il qu’ils sont dupes de leurs honnêtes illusions.

Mais lui, soyez-en sûrs, il ne veut pas être dupe, et la crainte de le devenir lui jouera plus d’un méchant tour. Il prendra plaisir à nier ces vigoureux instincts que M. Herwegh et ses amis voudraient réveiller chez les nations germaniques ; il soufflera en riant sur ce bel idéal teutonique et le dispersera à tous les vents ; il les montrera, ces vaillans fils d’Arminius, endormis dans leur sensualité grossière ; le dirai-je ? il les mènera tout droit à la taverne, et là, il les fera boire et chanter, comme Méphistophélès, quand il enivre les joyeux compères d’Auerbach. Ou plutôt n’est-ce pas ainsi que Voltaire, à ses heures d’impatience, gourmandait les Welches ? Écoutez comme il accable son pays sous son ironique dédain :


« Nous dormons, absolument comme dormait Brutus, mais Brutus s’éveilla et plongea dans le cœur de César son froid couteau : les Romains étaient des mangeurs de tyrans.

« Nous ne sommes pas des Romains ; nous fumons du tabac. Chaque peuple a son génie, chaque peuple a sa grandeur ; c’est en Souabe qu’on fait les meilleures galettes.

« Nous sommes des Germains, de bonnes gens, de braves gens ; nous dormons du paisible sommeil des plantes, et, dès le réveil, nous avons soif, mais non pas du sang de nos princes.

« Nous sommes fidèles comme le chêne, fidèles aussi comme le tilleul ; nous