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le thème éternel, toujours jeune, toujours nouveau ; il chante la nature adorée et les mille harmonies insaisissables que le poète et l’amant y découvrent. Je voudrais détacher un de ces fragiles trésors ; mais que deviendront les nuances de l’expression et les délicatesses du rhythme ?

Si tu as de bons yeux et que tu regardes au fond de mes chansons, tu verras une jeune belle qui s’y promène de çà, de là.

Si tu as l’oreille fine, tu peux même entendre sa voix, et son soupir, son rire, son chant, séduiront ton pauvre cœur.

Avec son regard, avec sa voix, elle te troublera comme moi-même, et rêveur printanier, rêveur amoureux, tu t’en iras errant par la forêt.


Ce frais amour qu’il porte en son cœur transfigure pour lui cette nature déjà si douce et si belle. Forêts d’Allemagne, sentiers parfumés, tout refleurit sous les pas du poète qui a retrouvé ses accens d’autrefois. Non, ce n’est pas le printemps, ce ne sont pas les tièdes rayons du soleil de mai qui font épanouir tant de fleurs ; le soleil est au fond de son ame : c’est ce tendre amour qui éclaire et réjouit le bois et la vallée ; c’est lui qui vient d’ouvrir les bourgeons de la forêt, qui fait trembler les aubépines des buissons, qui place un oiseau babillard sur chaque branche d’arbre, et distribue à son charmant orchestre la partition des matinées printanières.


Tous les arbres frémissent, tous les nids chantent. Quel est le maître de chapelle dans le verdoyant orchestre de la forêt ?

Est-ce le vanneau au gris plumage qui sans cesse cligne les yeux d’un air important ? Est-ce ce pédant qui là-haut jette son coucou à des intervalles réguliers ?

Est-ce la cigogne qui, avec gravité et comme si elle donnait le signal, lève sa longue patte, tandis que tout chante à l’entour ?

Non, c’est dans mon cœur qu’il habite, le maître de chapelle de la forêt. Je sens chaque mesure qu’il frappe, et je crois qu’il s’appelle amour.


Le poète continue ainsi à associer les plus secrets sentimens de son ame à ce riche épanouissement de l’immense nature, et comment ne pas le croire en effet ? Comment ne pas croire avec lui que sa douce pensée fait lever tous les germes des sillons, quand il cueille à chaque pas des fleurs si précieuses, et rassemble de si fraîches odeurs de renouveau pour en parfumer son livre ?

Certes, il a fallu que M. Heine fût bien habile pour nous faire oublier tant de pages moqueuses écrites hier, pour effacer l’impression de ce scepticisme railleur qui nous avait parfois si douloureusement