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n’est pas or dans ses brillantes productions. L’ardent écrivain qui nous a peint l’Allemagne depuis Luther, l’ingénieux conteur des Bains de Lucques et des Nuits florentines, a quelquefois terni, hélas ! en de fâcheuses dissipations les dons charmans de son intelligence ; il a emprunté aux étages inférieurs de notre littérature quotidienne de regrettables habitudes, gaspillant sa pensée et ne respectant pas toujours sa plume. Le livre qu’il publiait en 1840 avec ce titre arrogant Henri Heine sur Louis Boerne (Heinrich Heine uber Ludwig Boerne), contenait, au milieu de passages excellens et irréprochables, un persiflage cynique, impie, où il profanait la tombe à peine refermée de l’éminent publiciste. Que dire enfin ? Il y avait comme des taches dans sa légitime renommée, et un esprit sincère devait toujours éprouver quelque gêne en parlant de lui. Eh bien ! voici une occasion éclatante qui peut effacer bien des fautes. La muse, offensée plus d’une fois, lui aura-t-elle pardonné ? Est-ce le poète qui vient à nous ?

On voit quel est le double intérêt du livre de M. Heine. Ce n’est pas seulement le pamphlétaire audacieux que nous allons interroger, c’est aussi l’artiste, c’est l’esprit charmant, l’imagination vive et délicate que nous aimions. Nous voulons sans doute juger la brusque irruption du poète dans le camp des tribuns, mais nous voulons aussi savoir si sa fantaisie a conservé la finesse et la grace qui nous charmait dans les Reisebilder. Aussi bien, avant d’arriver jusqu’à l’écrivain politique, nous rencontrons d’abord le rêveur d’autrefois, celui qui écrivait à dix-huit ans les premières pages du Livre des Chants, l’écolier amoureux qu’on ne s’attendait guère à trouver ici. M. Heine a dissimulé son joyeux pamphlet derrière toute sorte de voiles. J’aperçois d’abord des buissons embaumés d’aubépine ; c’est par ces riantes avenues qu’il faut entrer. J’entre donc, et, sans plus long préambule, je suis le poète où il voudra me conduire.

Les Poésies nouvelles s’ouvrent par une série de petites pièces toutes naïves, fines, pleines de grace, où respire la passion la plus douce et la plus chaste. Nous retrouvons sur le seuil la jeune muse qui dictait jadis au poète de si élégantes mélodies. Réveillée par un rayon de soleil, la voici qui court à travers les forêts d’Allemagne, babillant avec les oiseaux et les fleurs. Toutes ces chansons de mai ont une sève et un parfum qui leur est propre, une originalité toute vive, même après Uhland, après. Schubert, et M. Heine vraiment y excelle. La finesse du langage s’approprie merveilleusement à ces sentimens délicats, à cette fleur de l’ame qu’il sait cueillir d’une main légère. Le thème qu’il a choisi est bien vieux sans doute ; qu’importe ? c’est