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afin de pouvoir reprendre la mer. Si de la Méditerranée nous parcourons les immenses plaines de l’Océan, la position du pavillon français paraît bien autrement critique. Que deviendront nos flottes dans les mers de l’Inde, sur cette grève bordée d’arsenaux anglais ? aux Antilles, devant des plages ouvertes ? en Amérique et sur la côte occidentale d’Afrique, où il ne nous reste que Gorée à l’abri d’un coup de main ? Nous le répétons encore, le Sénégal est, de toutes nos possessions, la plus intéressante, parce qu’il ne peut nous être enlevé par un blocus, et qu’il ne s’agit que de savoir le défendre. En nous plaçant à ce point de vue, nous étudierons avec un nouvel intérêt la situation commerciale de cette colonie, vers laquelle des crises fâcheuses ont appelé dans ces derniers temps l’attention de la France.


IV. – SITUATION COMMERCIALE DE LA COLONIE. – QUESTION DES GOMMES

Les traités de 1815, en reconnaissant à la France sur la côte occidentale d’Afrique les mêmes possessions que la paix de 1783 lui avait autrefois assurées, proclamaient en outre l’abolition de la traite des nègres. Cette mesure, qui modifiait subitement l’administration du Sénégal, dont les comptoirs avaient été jusqu’alors les principaux entrepôts de l’esclavage, devait aussi changer à la longue le sort des colonies françaises et espagnoles. Elle allait donner de graves inquiétudes aux états du sud de l’Union américaine, et amenait forcément, dans un avenir peu éloigné, des chances funestes pour les pays à sucre et à coton, contrées où de durs travaux, sous un ciel meurtrier, déciment la race blanche. Aussi, quoique vraiment chrétienne et digne de peuples libres, la pensée de l’affranchissement, placée sous le patronage de l’Angleterre, fit naître en France des soupçons universels que les instincts les plus généreux ne purent d’abord parvenir à dissiper. L’abolition de la traite était cependant un grand bien pour le Sénégal, elle forçait immédiatement la France à diriger tous ses efforts vers le commerce intérieur de la contrée et la culture des terres. Le gouvernement, privé de ses plus belles colonies, cherchait alors de nouveaux débouchés aux produits de l’industrie nationale. L’exploitation des plaines de la Sénégambie devait ranimer les relations commerciales presque anéanties par la perte de la plupart de nos établissemens agricoles, dont les denrées précieuses seraient cultivées en Afrique sur une échelle immense et au milieu de populations innombrables.

Ébloui, en effet, par les rapports de ses agens, par des calculs basés sur l’étude superficielle des terrains que les noirs abandonnaient pour de légères coutumes ou redevances annuelles, le ministère français eut sérieusement l’espoir de retrouver au Sénégal les riches produits de l’Inde et de l’Amérique. Le cotonnier et l’indigotier surtout, plantes qui croissent spontanément en Afrique, devaient, si elles étaient soignées dans des habitations européennes, créer bientôt sur les marchés du continent une concurrence