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sans cesse, et l’imagination, toujours excitée par une nature imposante, des accidens imprévus, des impressions de terreur et de volupté, se laisse aller sans combat aux rêveries les plus nouvelles. Enfin la flotte mouille devant le rivage où les Maures sont campés avec leur famille et leurs bestiaux ; les palabres, ces interminables discussions des Arabes, commencent ; les captifs étalent les gommes, les négocians montrent leurs marchandises, les princes et les rusés marabouts vont à bord partager la fastueuse hospitalité des blancs ; les marchands de Saint-Louis courent affairés sous les tentes, cherchant à gagner les femmes et les enfans par des présens ; tous trompent et sont trompés, chacun traite en fraude, offre sous main à des prix inférieurs ce qu’il a l’air d’échanger contre le taux légal ; les promesses, le vol, l’intimidation, tout est mis en jeu pour enlever les gommes ; l’intérêt même est oublié, et le traitant, préférant acheter à perte plutôt que de revenir à Saint-Louis les mains vides, accepte les marchés les plus onéreux, tandis que le Maure impassible ne s’engage jamais, ne se laisse pas surprendre, et profite de l’amour-propre et de l’avidité des concurrens. Telle est la traite des gommes, qui dure à peu près six mois de l’année.

La rive gauche du Sénégal, depuis l’embouchure du fleuve jusqu’au port de Bakel, est sous la domination des noirs ; elle comprend les royaumes de Cayor, de Walo, le Fouta et le pays de Galam. Le royaume de Cayor s’étend depuis l’embouchure du Sénégal jusqu’au cap Vert ; il est habité par les Yolofs. Au sud se trouvent les pays de Baol et du Syn, où s’élevaient autrefois les comptoirs français de Portudal et de Joal. Le Cayor échange des bestiaux, du mil, de la cire, pour de la poudre, du fer, des verroteries, de l’eau-de-vie, du tabac et des armes. A une quinzaine de lieues de Saint-Louis, en allant vers Gorée, commence dans le pays de M’Boro l’active végétation des tropiques ; plusieurs lacs d’eau douce répandent la vie et la fraîcheur au milieu des bois et des prairies environnantes ; de nombreux troupeaux paissent les beaux pâturages que l’humidité des lacs met à l’abri des ravages de l’harmattan, haleine brûlante du désert qui dévore les plantations des habitans. Le Walo se prolonge, à partir de la barre du Sénégal, à quarante lieues au nord de Saint-Louis, jusqu’au village de Dagana, poste fortifié de la France ; dix lieues plus bas s’élève le poste militaire de Richard-Tol. Les marécages des bords du fleuve sont fertiles et ensemencés par les noirs ; au-delà paraissent de grandes plaines basses et stériles, que terminent des coteaux sablonneux couverts de broussailles et de taillis : des prairies inondées pendant l’hivernage, quelques bois de haute futaie, une forêt de gommiers près d’un lac bordé de roches ferrugineuses, sont les seules ressources des malheureux habitans. Partout la végétation lutte en vain contre la mer, qui ronge le sol, et le souffle du désert, qui passe sur les plantes. Le Fouta s’étend depuis la frontière du Walo jusqu’au pays de Galam ; il est partagé en trois provinces : le Fouta, le Toro à l’ouest, et le Damga à l’est. Cette riche contrée, où était établi l’ancien comptoir français de Podor, appartient