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du chef rétablissent bientôt la bonne intelligence ; les deux amis s’enfoncent dans les terres, et se séparent pour battre les marécages. Il est convenu que le nègre tuera au profit du blanc les magnifiques oiseaux de toutes couleurs qui filent dans l’air comme des étoiles d’azur, mais le camarade revient constamment les mains vides. Avare de cette poudre terrible avec laquelle l’homme tient son ennemi à distance, il la ménage soigneusement et la conserve pour les combats et les chasses plus sérieuses. Ces excursions le long du fleuve, dans les bois de Dakar, autour des puits du désert, au milieu d’espaces sans bornes où règnent en liberté les bêtes fauves et les créatures les plus faibles et les plus gracieuses, sont une tentation irrésistible pour le guerrier noir comme pour l’Européen. Le souvenir des fatigues que l’on a surmontées et des dangers que l’on a courus ramène sans cesse le voyageur, le naturaliste et le chasseur, dans ces plaines éternellement foudroyées et belles cependant à force d’horreur et d’épouvante. La chasse aux biches, aux gazelles et aux colibris, la recherche patiente des insectes et des coquilles marines, les promenades à cheval, telles sont les seules distractions des états-majors de la flotte ; les officiers vont à la chasse, les chirurgiens ramassent les coléoptères, l’aspirant préfère les courses sur un cheval rapide. Tous partent armés : le collectionneur, outre la boîte où il pique les pauvres scarabées, a son fusil en bandoulière, et le cavalier ne se hasarde qu’avec une paire de pistolets dans les poches de sa veste. Des guides les conduisent ordinairement aux bosquets parfumés où nichent les souimangas aux ailes d’or et les cardinaux à la robe de pourpre : quelques-uns restent à l’affût, les sages herborisent, d’autres galopent aux alentours ; mais souvent l’ardeur de la poursuite, l’attrait de la nouveauté fait taire la prudence, et l’officier, perdu pour la première fois dans les solitudes, s’élance avidement vers des horizons inconnus. C’est une heure solennelle et qui restera gravée dans sa mémoire, celle où le téméraire jeune homme se décide à aller en avant ; debout sur une dune au bord de la mer, il coule une balle dans le canon de son fusil et salue d’un dernier regard son navire, patrie errante, dont son absence ira troubler le repos ; il s’éloigne sourd à son nom répété par ses frères d’armes qui le cherchent ; bientôt les voix n’arrivent plus jusqu’à lui ; tout à coup il tressaille à une forte détonation, appel suprême des amis inquiets et qu’il faut avoir entendu pour connaître les secrets frissons du cœur le plus ferme. Il marche, et rien de ce qu’il a vu ailleurs ne frappe ici ses regards. En Amérique, le trappeur parcourt impunément les prairies où paît le paisible bison ; l’altier Mohican a disparu ; aucun animal dangereux ne tente le courage du chasseur dans les forêts du Meschacébé. L’Afrique est un monstrueux repaire : le requin croise à l’embouchure des fleuves, la tête du crocodile se dresse au milieu des mangliers des rivières ; le lion, l’éléphant, le tigre, le guépard, laissent l’empreinte de leurs griffes sur le bord des lacs ; la hyène rôde dans les bruyères, et le serpent enlace l’énorme tronc du baobab. Si l’on pénètre dans un bois, mille cris différens retentissent autour de vous : le singe broie une noix, le rat