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le régime des engagés à temps, qui consiste à permettre l’introduction des noirs de l’intérieur, sous la condition de l’affranchissement immédiat au bout de quatorze ans de service. En 1838, le nombre des engagés à temps s’élevait à 1,693. Depuis l’abandon des cultures, 1,592 sont concentrés à Saint-Louis, où ils achèvent leurs années de service, et 101 sont employés à Gorée. Le prix de l’achat d’un engagé à temps, âgé de vingt ans et propre au travail, varie de 300 à 400 fr. Au Sénégal, du reste, l’esclavage est dépouillé de toutes les misères qui le rendent si odieux partout ailleurs. Les captifs, exempts de travaux pénibles, restent soumis à une domesticité paresseuse sur les bâtimens de guerre, ou sur les petits caboteurs naviguant dans les rivières ; ceux qui ont un métier l’exercent librement soit à la ville, soit à bord des navires ; l’ouvrier, comme le matelot, partage avec le maître le gain de la journée, dont la plus forte part est employée au bien-être des siens. Les familles de ces ouvriers indigènes campent à leur guise ; les unes restent près de la maison du maître, sous la tutelle de la dame signare, indulgente aux petits enfans de l’esclave comme aux siens ; les autres, plus fières, regrettant peut-être la patrie perdue, s’éloignent du lieu qui rappelle la servitude, et vont placer leur hutte dans un coin ignoré, sur le bord du fleuve, où la femme cultive un jardin, ou devant la mer que ses enfans apprennent à braver avec les pilotes et les pêcheurs. Tous les captifs, soit qu’ils vivent isolés, soit qu’ils demeurent groupés près du maître, ont pour lui un attachement religieux ; jamais ils ne se sont plaints de la chaîne dont ils ne sentent pas le poids, et les six mille esclaves de Saint-Louis, loin d’être, comme aux Antilles, un sujet d’inquiétude, sont la plus sûre garantie de la sécurité publique. Dès que la colonie est en guerre avec les Maures ou avec les noirs du continent, l’habitant indigène, mulâtre ou nègre, arme ses captifs et marche avec eux à la défense de l’établissement ; ils se battent courageusement pour la France, et c’est grace à ces laptots dévoués que la métropole parvient, avec une garnison de 400 hommes, à conserver cette possession précieuse, environnée de nations guerrières et turbulentes. Le nombre des esclaves est de 10,096. Saint-Louis en compte 6,061, Guett’ndar 236, Gorée 3,799. Les noirs libres et les gens de couleur les possèdent presque tous. La valeur ordinaire d’un captif est de 500 francs. Sa nourriture est évaluée à 100 francs, indépendamment de ce que coûtent son logement et les soins exigés par ses maladies.

La vie que mènent les blancs au Sénégal est assez triste ; négocians ou employés du gouvernement sortent peu des îles de Saint-Louis et de Gorée, où les retiennent leurs devoirs ou leur trafic. Il est vrai que les échanges obligent à une existence sédentaire, sauf à l’époque de la traite des gommes, qui, ayant lieu dans le haut du fleuve, force les marchands à monter aux escales ; la plupart passent leurs jours près de leur comptoir. Tous en effet tiennent des boutiques où se trouvent rassemblés les différens produits européens dont le débit journalier est peut-être la branche la plus importante