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l’association dans des guerres impolitiques, qui gênaient les entreprises des marchands. Des cinq premières compagnies, celle que dirigea M. Brué réalisa seule de grands bénéfices ; les autres succombèrent. Ainsi, la compagnie des Indes occidentales vend 75,000 livres ce que les marchands de Dieppe lui avaient cédé au prix de 150,000 livres ; la compagnie du Sénégal livre ses établissemens, en y comprenant Portendik et les cinq comptoirs enlevés aux Hollandais, pour la somme de 1,010,015 livres ; la seconde compagnie les abandonne moyennant 300,000 livres, et la compagnie royale, dans sa détresse, accepte 240,000 livres. Cette décroissance en dit plus que toutes les réflexions. Aujourd’hui, cependant la paix et les progrès du commerce ont ouvert au Sénégal un avenir plus heureux. Espérons que la sollicitude du gouvernement saura développer des germes de prospérité que l’ignorance et la cupidité ont trop souvent compromis. L’exemple des anciennes compagnies ne saurait être perdu pour l’administration actuelle.


II – LES ETABLISSEMENS FRANCAIS. – MOEURS DES BLANCS ET DES SIGNARES.

Des vingt-six établissemens fondés par la France, dans l’espace de cinq siècles, au Sénégal et sur la côte occidentale d’Afrique, les seuls qu’elle possède maintenant sont : 1° sur le fleuve du Sénégal, l’île Saint-Louis et les îles voisines, les postes militaires de Richard-Tol, de Dagana et de Bakel ; 2° sur la côte, l’île de Gorée ; 3° dans la Gambie, le comptoir d’Albreda ; 4° dans la Cazamance, le comptoir de Seghiou. Plusieurs points de la côte du Gabon ont en outre été fortifiés dans ces derniers temps, mais cette occupation est encore trop récente pour que nous puissions en apprécier les résultats. L’influence française s’étend sur une longueur de cent lieues à peu près, depuis l’ancien comptoir de Portendik, situé à quarante lieues au sud du banc d’Arguin, jusqu’aux extrémités de la baie de Gorée.

Quand le marin, parti des sombres mers septentrionales pour les côtes d’Afrique, s’avance vers le sud, il ne tarde guère à ressentir la douce influence que le soleil exerce sous les tropiques. Les brouillards des tristes climats, qui semblaient suivre le navire à la piste, s’éclaircissent chaque jour et l’abandonnent à la longue comme la meute lassée par une bête vigoureuse ; de larges crevasses, par où l’œil plonge dans le bleu de l’éther, déchirent peu à peu les brumes, et l’océan, bizarre caméléon, reflète à son tour de brillantes couleurs. Les vagues s’apaisent, et les vents alisés poussent le bâtiment au milieu des Canaries, ces îles fortunées, fraîches corbeilles de fleurs sur les bords d’un abîme de feu. La route change alors ; la proue, tournée vers l’est, sillonne des vagues paresseuses ; mais déjà la lumière n’est plus aussi pure, l’ardente coupole du ciel se ternit et s’affaisse sur la mer, l’air est imprégné d’une matière impalpable, la brise languit ou porte brusquement un souffle embrasé, la vue fatiguée ne peut plus soutenir l’éclat