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sur neuf compagnies qui se sont succédé depuis 1626, une seule en définitive a fait de bonnes affaires. Cependant le régime du monopole n’a pas cessé d’être appliqué à la colonie, lorsque la libre concurrence était déjà en vigueur dans toutes nos possessions transatlantiques, et ce fait trouve son explication dans l’état particulier du Sénégal. Le commerce de Saint-Louis ne pouvait et ne peut encore s’exercer que sous la protection immédiate de la politique. La question des gommes a mis en lumière les dangers qu’entraînerait, pour cette colonie, un abandon trop absolu des anciennes coutumes.

Il est un autre enseignement que l’on peut tirer des nombreux changemens de fortune qu’a subis notre colonie du Sénégal. En France, les idées administratives ont été si long-temps incomplètes, et souvent même si contraires les unes aux autres, les intérêts commerciaux si négligés, le système colonial enfin tellement mal compris, que la prospérité de nos provinces d’outre-mer a toujours dépendu du génie d’un homme et jamais de la force des institutions. L’histoire du Sénégal est celle de toutes nos colonies. Quand le chef était ferme, probe, intelligent, les richesses des îles venaient étonner la métropole, qui retrouvait aussitôt les illusions des premiers jours sur ces belles possessions ; mais, si le directeur suprême était incapable (et pourquoi ne pas l’avouer ? c’est ce qui arrivait fréquemment), les désastres, les banqueroutes épouvantaient la mère-patrie. Alors l’état obéissait de nouveau à la triste conviction que les colonies étaient une charge pour lui. De là ces tâtonnemens perpétuels, ces hésitations, ces changemens précipités, qui, loin de porter remède au mal, jetaient plus d’incertitudes encore dans toutes les branches de cette vaste administration, dont les infortunes ou la gloire entraînent avec elles les destinées de la marine militaire. Pour nous en tenir au Sénégal, que de vicissitudes n’a-t-il pas subies ! De 1664 à 1718, c’est-à-dire dans l’espace de cinquante-quatre ans, six associations furent fondées avec le privilège exclusif du commerce du Sénégal. Il est inutile d’insister sur ce que cette succession de directions différentes devait apporter de troubles dans les rapports commerciaux, soit avec les Maures de la rive droite du fleuve, soit avec les tribus du bord opposé, soit avec les peuples de la côte. Chaque société arrivait avec des vues nouvelles ; les relations d’amitié ou d’influence, établies par de prudens efforts, se trouvaient subitement rompues ; aux plans tracés sur les lieux on substituait d’autres plans élaborés à Paris, où les bureaux n’avaient nulle connaissance des localités. Des agens présomptueux semblaient prendre à tâche de recommencer sur une autre échelle les travaux de la dernière compagnie. Les directeurs, pour la plupart, n’avaient en vue que la satisfaction de leurs intérêts ou de leur vanité ; les uns, poussés par ce besoin, presque inhérent à tout employé français, de faire parler de soi, adressaient aux associés éblouis la longue nomenclature de points indispensables à exploiter ; les autres, pour le plaisir de créer des difficultés qui pouvaient faire briller leur adresse, engageaient