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des sentimens humains. Ici, c’est la haine et le désespoir ; plus loin, l’ironie. Voyez là-haut cette large bouche qui s’ouvre : n’est-ce point là une joie de cyclope prise sur le fait ? un monstrueux éclat de rire devenu pierre ? — A mesure que vous avancez, les rochers se resserrent, l’obscurité augmente, et le passage se fait peu à peu si étroit, qu’en étendant les mains vous touchez des deux côtés. Pour accroître encore les agrémens de cet aimable petit sentier, il y a quelque cent ans qu’une masse énorme, détachée de la voûte, vint y rouler et former l’encombrement terrible qu’on nomme aujourd’hui le Felsenthor (la Porte de Rocher). Le seuil de cette porte une fois franchi, vous entrez dans la Maison de pierre (das steinerne Haus). Le nom de cet endroit du défilé en indique la conformation. Figurez-vous une maison en règle, une maison rustique où rien ne manque, ni la grande salle du rez-de-chaussée, ni le grenier, ni l’étable qui semble attendre le retour des bestiaux attardés au pâturage. Quelques pas plus loin, vous découvrirez la Cuisine du Diable (die Teufelsküche), où l’on ne s’introduit qu’en rampant. Oui, voilà bien les fourneaux de cette infernale cuisine, où les marmitons diaboliques n’auraient pas fonctionné depuis long-temps, s’il faut s’en rapporter aux réseaux touffus de mousse et d’herbes grimpantes qui tapissent les parois intérieures du foyer. Néanmoins, une fumée épaisse et bitumineuse s’exhale constamment du trou de la cheminée, qui suffit, à ce qu’il paraît, au pot-au-feu de Lucifer, les fourneaux n’étant employés qu’aux grands jours, lorsqu’il s’agit de festoyer quelque hôte humain qui vendra son ame au dessert. Poussez en avant, et vous ne tarderez pas d’arriver à la Chaire, au Baldaquin, au Salon de Pierre, et enfin à la Double Porte.

Nous entrâmes ensuite dans le Grünbachthal. Ici moins d’épouvante règne ; de sauvages escarpemens, des monts arides et pelés se dressent bien encore autour de vous de tous côtés, mais du moins en cet endroit l’eau circule à travers les crevasses du granit, et, selon les différens cours que le roc lui ménage, s’épanche à larges nappes avec un bruit majestueux, roule à torrens, bouillonne ou s’enfuit en jasant sur un lit clair de cailloutis. On peut dire que les eaux, avec leurs mille bruits étouffés ou sonores, font vraiment circuler dans les artères du. Grünbachthal cette vie que vous cherchez en vain dans les gorges silencieuses d’Ottowald. Ici le fleuve, après s’être creusé une ouverture à travers la pierre, se précipite à quelques pas de vous dans l'Amnselloch, d’où il sort, non plus en cascade, mais en une poussière humide que le soleil irise de tous les feux du diamant et de l’émeraude.

Quelques minutes plus tard, nous touchions au Kleinen Gans, en