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toujours des horizons. C’est certainement un des hommes (et M. Cousin partage pour les mêmes raisons cet avantage-là) qui, sortis du pouvoir et de la politique, ont le moins de chance de s’ennuyer en regrettant. Il n’a qu’à choisir entre ses aptitudes et ses verves, ou plutôt elles ne lui laissent pas le temps de choisir ; la fertilité de son esprit l’amuse lui-même. Mais aujourd’hui il y a mieux, et c’est une entreprise auguste qui le passionne.

Dans l’appréciation d’un esprit, il faut tenir compte de la multiplicité d’aptitude et de l’étendue du champ. Il y a des gens de grand esprit, d’un esprit ou très fin ou très élevé, et égal à tout, qui se réservent, qui se ménagent, qui répugnent à certains sujets, qui se cantonnent dans de certains autres et encore n’y procèdent que graduellement. M. Thiers est un esprit toujours prêt, qui se jette en pleine idée, en plein sujet, à tout instant : c’est en un mot un des esprits les plus résolus et les moins paresseux qui se puissent concevoir.

Je ne crains pas de me répéter un peu, d’aller et de revenir plus d’une fois sur les mêmes traces en un sujet dont je ne puis faire tout le tour. Je voudrais du moins, en laissant l’homme politique à part, et dans les limites en quelque sorte littéraires qui me sont tracées, bien poser la qualité incontestable et fondamentale. Or personne, je le pense (et cette conclusion ressortirait de notre seule étude), personne ne refusera à M. Thiers d’être l’esprit le plus net, le plus vif, le plus curieux, le plus perpétuellement en fraîcheur et comme en belle humeur de connaître et de dire. Sa plume, qui court comme sa parole, a de plus dans les grands sujets des vigueurs généreuses. Ces grands sujets le ravissent tout naturellement et lui saisissent le cœur. Par cette vocation déclarée et par la supériorité aisée qu’il y porte, il élève bien haut son niveau intellectuel.

Sans m’arrêter à discuter le pour ou le contre de telle ou telle opinion, de telle ou telle idée, je me suis attaché, selon mon habitude, à caractériser plutôt la qualité, la nature du fonds même où elles germent, et la manière dont elles s’y produisent. Cette analyse a laissé sans doute bien des circonstances essentielles en dehors, mais elle a touché à fond, si je ne me trompe, les parties les plus vives de cette belle organisation, et elle donne surtout l’idée d’un grand ensemble.


SAINTE-BEUVE.

P. S. Au moment où nous terminons ces pages qui, dans l’attente actuelle du public, ne peuvent guère avoir qu’un mérite d’avant-