Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/249

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même chercher à obtenir de sa faveur quelque fragment de l’histoire de Florence ; mais l’attente universelle est ailleurs en ce moment, et c’est une autre pièce que le parterre assemblé réclame déjà à grands cris de toutes parts.

Sans donc sortir de l’unité d’intérêt, bornons-nous à tâcher de marquer encore par quelques traits expressifs ce merveilleux esprit qui, à ce titre même d’esprit, n’a point de supérieur parmi ceux de notre époque. Je n’ai certes pas la prétention de l’embrasser et de le définir dans toutes ses parties, mais je me plais à le parcourir librement dans quelques-unes de celles qui nous sont le plus ouvertes et le plus permises. Le trait le plus caractéristique et le plus distinctif qu’il offre, selon moi, est la fraîcheur de curiosité. On a dit d’un autre esprit bien éminent de nos jours, que ce qu’il avait appris de ce matin, il avait l’air de le savoir de toute éternité, tant sa haute réflexion donnait vite à chaque connaissance une teinte profonde et comme reculée. C’est justement le contraire chez M. Thiers. Tout ce qu’il voit pour la première fois, il le découvre, il le raconte avec la vivacité de la découverte, avec une netteté comme matinale, avec une sorte de naïveté (je demande bien pardon du mot) dans laquelle il se mêle bien assez de finesse pour qu’on ne sache plus comment la définir, avec une ampleur sans effort où l’on oublie bien aisément de trouver du superflu. Le résultat même de ses études les plus habituelles, les plus antérieures, il le produit et le déroule volontiers sous une lumière légère et sur une surface sans ombre. Tandis qu’il parle ou qu’il écrit, il vous associe insensiblement à son récit, à sa nouveauté ; il vous emmène avec lui dans son courant plus ou moins rapide, et au bout de quelque temps, si l’on n’y prend garde, ses conclusions, ses impressions sont devenues les vôtres ; toutes les objections ont disparu. Tel il est en chaque matière, tel dans son récit historique comme dans ses développemens de tribune, dans son rapport d’hier et dans son discours de demain.

Pour moi, l’esprit de M. Thiers me réalise précisément l’idée du contraire de la sécheresse ou de la stérilité, c’est-à-dire qu’il est la fertilité même. C’est un terrain où l’on n’a qu’à toucher comme à fleur de terre pour que les sources jaillissent à chaque pas, se diversifiant en mille sens avec abondance et limpidité. Il fait couler les idées des faits, il met du mouvement et de la vie à tout ; chaque étude s’anime, se dresse devant lui et se prolonge en perspectives à la fois très précises et pourtant embellies. En même temps que le détail se multiplie à plaisir sous son regard et se décompose en ses moindres points, l’ensemble prend de la construction et de la grandeur ; il y a