Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/246

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cet acte de protestation, rédigé en ce sens, est le dernier mot très précis, très sagace et à la fois très résolu de toute la polémique du National, et de la carrière de M. Thiers en tant que journaliste d’opposition. Sa conduite, en ces grands momens décisifs, du 26 au 31 juillet, peut se résumer en deux traits : il contribua plus que personne à l’acte initial (la protestation), et autant que personne à l’acte final (Orléans). Le détail de ces journées, leur lendemain, et la carrière aussitôt commençante de l’homme de gouvernement, ne nous concernent plus ici, et sortent de notre portée dans cette simple esquisse littéraire que nous essayons.

Puisque nous en sommes à refeuilleter ces souvenirs du National il y a pourtant quelque chose à dire sur la littérature proprement dite et sur la place qu’elle tint dans ce journal influent. Elle n’y joua jamais qu’un rôle assez secondaire. Malgré l’excellence des plumes politiques, malgré la distinction de quelques collaborateurs littéraires, tels que Mérimée, Peisse, la critique fine, la culture délicate eut peu d’accueil et d’accès ; la poésie surtout s’y trouva presque toujours traitée avec rigueur et un peu rudoyée comme dans un camp. Les esprits nets, précis, applicables, de ce groupe historique, répugnaient à des tentatives modernes dont les résultats n’étaient point assez dégagés sans doute, mais qui auraient peut-être mérité dans le détail attention et indulgence. Carrel malmenait Hernani[1] avec un surcroît de logique et une verdeur de sève qui n’avait pas encore trouvé son issue. En général, le ton du journal, à cet endroit littéraire, était chagrin, et la mauvaise humeur dominait.

M. Thiers, lui, n’en eut jamais. Naturellement passionné pour le grand et le simple, amoureux de ses propres études et vivant dans l’abondance des pensées, il ne s’occupait guère de ces tentatives d’alentour qui remuaient, plus qu’il ne le croyait, des intelligences sérieuses ; et si, à la rencontre, son regard venait à s’y arrêter, il y opposait aussitôt un tel idéal de simplicité et de pureté, que les contemporains le plus souvent n’avaient rien à faire en comparaison. En une seule circonstance, il sortit de son indifférence habituelle à cet égard, et fit une éclatante exception pour M. de Lamartine. Tous deux bienveillans d’imagination et optimistes par nature, tous deux larges, faciles de talent, également alors ennemis de l’affectation, et tout au plus négligés, ils n’étaient pas, au milieu de leurs nombreuses différences, sans quelque rapport d’inclination et de manière. Le célèbre poète,

  1. 8, 24 et 29 mars.