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Tout ceci visait de près à la prophétie. Comme si ce n’était pas assez clair, la Quotidienne, irritée, posait là-dessus au National plusieurs questions insidieuses, auxquelles M. Thiers répondait fort agréablement le 14 février ; il repoussait toujours cette idée d’une révolution à la façon de 89 :


« Un autre motif nous portait à repousser l’idée d’une pareille répétition c’est la gravité de l’évènement. Une révolution est une chose si terrible, quoique si grande, qu’il vaut la peine de se demander si le ciel vous en destine une. Examinant sérieusement la chose, nous nous sommes dit qu’il n’y avait plus de Bastille à prendre, plus de trois ordres à confondre, plus de nuit du 4 août à faire, plus rien qu’une Charte à exécuter avec franchise, et des ministres à renverser en vertu de cette Charte. Ce n’est pas là sans doute une besogne bien facile, mais enfin elle n’a rien de sanglant, elle est toute légale ; et bien aveugles, bien coupables seraient ceux qui lui donneraient les caractères sinistres qu’elle n’a pas aujourd’hui. »

Le 19 février, il allait plus loin et se découvrait davantage :

« La France, osait-il dire, doit être bien désenchantée des personnes : elle a aimé le génie, et elle a vu ce que lui a coûté cet amour ! Des vertus simples, modestes, solides, qu’une bonne éducation peut toujours assurer chez l’héritier du trône, qu’un pouvoir limité ne saurait gâter, voilà ce qu’il faut à la France ! voilà ce qu’elle souhaite[1], et cela encore pour la dignité du trône, beaucoup plus que pour elle : car le pays avec ses institutions bien comprises et pratiquées n’a rien à craindre de qui que ce soit.

« La question est donc uniquement dans les choses. Elle pourrait être un jour dans les personnes, mais par la faute de ces dernières. Le système est indifférent pour les personnes ; mais, si elles n’étaient pas indifférentes pour le système, si elles le haïssaient, l’attaquaient, alors la question deviendrait question de choses et de personnes à la fois. Mais ce seraient les personnes qui l’auraient posée elles-mêmes. »


Cet article du 19 février et un autre de Carrel du jour précédent fournirent matière à un procès et à une condamnation, qui ne ralentirent en rien l’audace polémique du National. On était lancé ; il n’y avait plus repos ni trêve, et il faut avouer que si, par impossible, le ministère avait eu la velléité de renoncer à son coup d’état, il en eût été

  1. Il est juste de remarquer qu’à l’époque où M. Thiers écrivait ces phrases, il n’avait jamais eu l’honneur de voir M. le duc d’Orléans ; il avait suivi de bonne heure en cela le conseil que lui avait donné Manuel, et aimait mieux aller ainsi de l’avant, sans se lier. Il ne vit M. le duc d’Orléans pour la première fois que dans la nuit du vendredi au samedi 31 juillet 1830.