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à signer aujourd’hui[1]. Au milieu des hommages de sympathie et d’admiration dont la jeunesse est prodigue et qui ne pouvaient être mieux placés qu’en cette rencontre, je me permettais quelques observations et restrictions sur le passage trop facile que l’historien se ménageait de la Gironde à la Montagne : « Ici, avait-il dit en couchant éloquemment son quatrième volume et la journée du 2 juin, ici commencent des scènes plus grandes et plus horribles cent fois que toutes celles qui ont indigné les girondins. Pour eux, leur histoire est finie ; il ne reste plus à y ajouter que le récit de leur mort héroïque. Leur opposition a été dangereuse, leur indignation impolitique ; ils ont compromis la révolution, la liberté, la France ; ils ont compromis même la modération en la défendant avec aigreur, et en mourant ils ont entraîné dans leur chute ce qu’il y avait de plus généreux et de plus éclairé en France. Cependant j’aurais voulu être impolitique comme eux, compromettre tout ce qu’ils avaient compromis, et mourir comme eux encore, parce qu’il n’est pas possible de laisser couler le sang sans résistance et sans indignation. » Et pourtant, en poursuivant son récit, l’historien entraîné passe outre : « On ne pourrait mettre au-dessus d’eux, dit-il encore, que celui des montagnards qui se serait décidé pour les moyens révolutionnaires par politique seule et non par l’entraînement de la haine » Et ce rôle du montagnard, il l’accepte, il le personnifie avec intégrité, avec grandeur, mais avec trop d’oubli des alentours, dans Carnot, dans Robert Lindet ou Cambon, et il s’attache jusqu’au bout, jusqu’au haut de la Montagne, aux destinées de la patrie qu’il ne sépare, à aucun moment, des destinées de la révolution. Dans cette Montagne plus sanglante que la roche Tarpéienne ou les Gémonies, il ne cesse, en un mot, de voir le Capitole de la patrie en danger.

Ici de graves questions se soulèvent, questions de principes et de sentiment. Et il nous faut bien d’abord toucher quelque chose de la doctrine générale de la fatalité tant reprochée aux deux jeunes historiens de la révolution. On a tant parlé en tous sens de cette doctrine qu’on rattache communément à leurs noms, qu’il est impossible qu’on ne l’ait pas exagérée, comme cela arrive toujours. Le fait est qu’elle ressort du récit de M. Thiers à la réflexion, bien plutôt qu’elle n’est professée par lui. Il raconte et suit vivement les phases de la révolution,

  1. 10 et 19 janvier 1826, 28 avril et 12 mai 1827 ; je n’en sépare pas un article corrélatif au sujet du Tableau historique de M. Mignet, 28 mars 1826.