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hautement d’avance et dans le choix des sujets et dans l’esprit suivant lequel il les traitait. Même en faisant de l’histoire, M. Guizot méditait autre chose. La remarque est plus vraie encore de M. Thiers. Son ambition au début, son instinct naturel n’est pas de retrouver, de produire de l’histoire épique ou pittoresque (comme on y a si heureusement réussi, mais un peu après coup), et il ne vise nullement à faire œuvre littéraire. Il aime par goût les choses de gouvernement ; mis en présence, il veut les apprendre, les étudier en elles-mêmes, il s’y porte avec passion. Homme politique ou destiné à l’être, il jette ses études dans l’histoire. L’histoire, pour lui, c’est donc l’occasion, le moyen, l’application, comment dirai-je ? le résidu ou le trop plein de son travail, non pas le but direct ni l’objet. Cela se trouve vrai et pour son Histoire de la Révolution, et pour celle qu’il a commencée de Florence ; dans cette dernière, l’art lui faisait l’attrait principal ; le sujet, là aussi, n’est que le prétexte, et c’est la recherche avant tout qu’il aime. Mais aujourd’hui, pour l’histoire du Consulat et de l’Empire, il avoue que son ambition est autre, et qu’elle ne saurait raisonnablement dépasser une telle matière. Le but ici est amplement suffisant, et il ne se propose que de le remplir. Toutes les études politiques, gouvernementales, stratégiques, etc., etc., aboutissent là, en effet, dans le plus vaste et le plus glorieux cadre ; il s’en empare. « Quelle bonne fortune ! s’écrie-t-il et a-t-il droit de s’écrier dans cet égoïsme de l’artiste amoureux de son objet ; on m’a été prendre Alexandre du fond de l’antiquité, et on me l’a mis là, de nos jours, en uniforme de petit capitaine et avec tout le génie de la science moderne. » Pour la première fois donc l’historien a fait, a voulu faire un ouvrage.

Revenons aux débuts. M. Thiers, disions-nous, n’est entré pleinement dans l’histoire de la révolution française qu’à son troisième volume ; il y arrive, pour ainsi dire, avec les Marseillais eux-mêmes, à la veille du 10 août. Comme ces hommes de révolution, ces généraux et ces gouvernans improvisés, dont il a si bien senti et rendu la nature, il se forme en avançant, selon les nécessités du sujet, il supplée aux routines par une rapide expérience. On n’attend pas que j’entre ici dans une analyse suivie et développée de cette narration qui, eu égard à la nature des choses racontées, n’a souvent que trop d’intérêt et d’attrait. Moi-même, en mes années de noviciat, j’ai eu l’honneur de saluer, d’accueillir à leur naissance ces volumes de l’Histoire de la Révolution, je leur ai consacré dans le Globe quatre articles que j’aimerais encore