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hommes de se réunir ainsi dans un espace trop vaste pour ceux qui ont à le parcourir, trop étroit pour ceux qui doivent l’habiter ; où ils fondent les uns sur les autres, s’étouffent, s’écrasent, avec la boue sous les pieds et l’eau sur la tête ! etc., etc.

Patience ! lorsque M. Thiers sera un jour ministre de l’intérieur ou des travaux publics, il saura mettre ordre à cela. Il serait piquant d’écrire, en regard de cette page de jeunesse, le résumé de son budget de ces années (1832-1834) concernant les embellissemens de Paris.

Les impressions du jeune Marseillais dans ce monde nouveau qui s’ouvrait à lui furent bientôt d’un tout autre ordre. Recommandé à Manuel, il le fut par lui à M. Laffitte, à M. Étienne, et entra au Constitutionnel en même temps que M. Mignet entrait au Courrier. Les deux amis réussirent aussitôt, chacun dans sa ligne parallèle et dans sa nuance. Tandis que l’un burinait déjà jusque dans ses moindres pages les traits d’une pensée grave, élevée et un peu puritaine, l’autre lançait sur tout sujet son esprit prompt, alerte et vigoureux. Du premier jour, M. Thiers fut aisément égal ou, pour parler vrai, supérieur (M. Étienne à part) à la rédaction habituelle du Constitutionnel, et il laissait surtout bien loin derrière lui toutes ces jeunes recrues si naturellement traînantes, les Bodin, Léon Thiessé et autres. Ce qu’il y avait de peu compliqué dans les théories, soit politiques, soit littéraires, du Constitutionnel, ne lui déplaisait pas ; l’esprit de M. Thiers est de ceux qui, bien différens en ce point de plusieurs autres esprits distingués et dédaigneux de ce temps-ci, ne se rebutent jamais du simple, et il se réservait d’en relever ce qui touchait au commun par la vivacité et l’à-propos de ses aperçus. Nous pourrions remarquer et choisir plus d’un de ces articles de début ; mais aucun ne nous paraît plus caractéristique de cette première manière, déjà si ferme et si sûre, que celui qu’il écrivit sur la brochure de M. de Montlosier, ou, comme il l’appelle, sur ce long cauchemar de 300 pages, intitulé : De la Monarchie française au 1er mars 1822. L’offense d’un esprit juste à voir un tel ramas d’incohérences, la douleur d’un jeune homme à voir un vieillard s’égarer si violemment, le ressentiment d’un homme nouveau qui prend sa part dans l’injure proférée par le patricien endurci, et le zèle du futur historien à venger des noms vénérés, le respect aussi des cheveux blancs qui, sans l’amortir, rehausse plutôt et aggrave la vigueur de la réplique, tous ces sentimens très mesurés, très apparens, respirent dans l’excellent article que le jeune publiciste, par une forme anticipée, convertit volontiers en une sorte de discours directement adressé à l’adversaire :