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d’Aristophane. Il les faisait rarement chez lui, quelquefois chez le comte de Baudissin, le plus souvent chez le docteur Carus, dont nous parlions tout à l’heure. Là, au milieu d’un petit cercle choisi parmi les intimes, de la crème, il donnait à son auteur cette vie étrange qui lui est propre, et soit qu’il lût les Oiseaux ou les Nuées, les Chevaliers ou les Grenouilles, il vous introduisait toujours, à force de verve, d’ironie et de trait, au cœur même de cette philosophie impitoyable, de cet esprit railleur, sceptique, athénien, c’est tout dire, qui, en dehors de la raison humaine, n’épargne et ne respecte rien. Un souper ou plutôt un banquet à la manière antique réunissait ensuite les amis. Sur quoi roulait alors l’entretien ? on l’imagine. Dans ces calmes et sereines dissertations, bien des aperçus de fine critique, bien d’heureuses boutades que la plume eût aimé recueillir ont dû se perdre, mais non sans laisser au fond de toutes ces intelligences choisies un peu du parfum de cet encens qui s’élevait de la terre vers l’Olympe aux beaux jours de la poésie et des dieux immortels.

Comme toute chose en ce monde, les lectures de Tieck devaient avoir leur réaction, et le temps ne pouvait manquer de venir où l’influence du maître s’étendrait en dehors du cénacle. Peu à peu, le théâtre de son enseignement s’agrandit, les germes déposés en bon lieu commencèrent à se développer, et lorsque le poète, changeant de résidence, quitta Dresde pour Berlin, ce fut la cour de Prusse qui voulut assister à toute cette grandiose représentation de Sophocle, d’Aristophane, d’Euripide et de Shakspeare, qui jusque-là s’était donnée en l’étroite enceinte d’une chambre silencieuse et devant un public composé seulement de quelques fidèles. Nous-mêmes, et sans nous en douter, n’avons-nous pas eu dans la mise en scène d’Antigone à l’Odéon le contre-coup des lectures de Tieck ?

Mais nous voilà, parlant de Tieck ni plus ni moins que si nous l’eussions visité dans sa maison de Dresde, plus volontiers sans doute, car, de cette façon, nulle réserve ne nous était imposée, et comme nous avons pu garder toute franchise à l’égard des critiques, on ne sera point tenté de voir dans notre éloge un tribut payé au souvenir d’un accueil bienveillant.

A défaut de Tieck, nous voulûmes voir Retsch, l’heureux artiste à qui la muse romantique de Shakspeare et de Goethe a fait de si ravissantes confidences ; Retsch, cet esprit honnête et sérieux dont le crayon, en s’attachant aux chefs-d’œuvre de la pensée humaine, créait ingénument un des fléaux de ce temps-ci : l’illustration. — Ne vous est-il jamais arrivé de demander dans sa ville natale le nom d’un