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L’accompagnement de quelques injures était ici nécessaire, et, grace à Dieu, il n’a pas manqué. Je donne à deviner aux plus subtils pour quelle raison tel écrivain ne peut pardonner à M. Cousin la publication du fragment sur les Passions de l’Amour. C’est, dit-il, que la découverte en était facile ; et d’ailleurs, supposez que M. Cousin eût seulement tardé six mois, cet habile homme nous assure avec une sérénité imperturbable que l’éclatant morceau ne pouvait lui échapper. Puisque ce grand faiseur de découvertes après coup était en veine de confier au public ses tardifs regrets, que ne se plaignait-il aussi de l’impertinence qu’a eue M. Cousin de s’apercevoir avant lui que les éditions des Pensées n’étaient point conformes au manuscrit original ! La belle découverte après tout ! Était-elle donc si difficile ? Il suffisait d’avoir des yeux et de s’en servir. Et quel dommage que M. Cousin ait méchamment dérobé cette magnifique proie à des mains à coup sûr plus habiles ! Ce ne sont là que les naïvetés de l’envie ; on a élevé des reproches plus graves. Quoi ! a-t-on dit à M. Cousin, vous osez supposer Pascal amoureux, amoureux comme le fut Descartes ! mais c’est un scandale qui fait frémir :

Par de pareils objets les ames sont blessées,
Et cela fait venir de coupables pensées.

On remarquera que ces personnes timorées, qui ne veulent pas que Pascal ait aimé, sont les mêmes qui se refusent à croire qu’il ait connu les angoisses du doute au sein même de la foi. Voilà des amis bien adroits, voilà la gloire et l’originalité de Pascal fort en sûreté. Ils feront si bien, que l’auteur des Pensées finira par devenir un conciliateur pacifique de la raison et de la foi, un croyant d’une simplicité et d’une docilité d’enfant, que sais-je ? peut-être un ami décidé de la philosophie. Après cela, il ne restera plus qu’à en faire l’ami des jésuites, et à découvrir dans les Provinciales un secret dessein d’ajouter à la considération de la société. Que devient cependant le livre des Pensées, ce monument unique et incomparable dans l’histoire de l’esprit humain, où se laissent voir en traits si profonds dans une ame du XVIIe siècle les ravages qu’avait faits le XVIe, où l’esprit de rigueur et d’analyse des temps modernes livre un dernier et grand combat contre les aspirations religieuses du cœur le plus passionné qui fut jamais ? Le livre des Pensées n’est plus qu’une apologie ordinaire, après tant d’autres apologies ; une sorte de pièce d’éloquence que la mauvaise santé de l’auteur l’a empêché de terminer. Voilà les suites extrêmes de ces façons étranges, tantôt par trop naïves, tantôt un peu escobartines (je me sers d’un mot de Pascal), d’entendre et d’expliquer le livre des Pensées. Au surplus, que l’on accepte ou que l’on repousse le scepticisme de Pascal, il faut au moins se résigner à Pascal amoureux. Voici en effet un témoin dont la parole ne sera pas suspecte et qui vient ajouter le poids de son autorité à des conjectures déjà si bien autorisées. Ce témoin n’est rien moins qu’un évêque, c’est Fléchier. Dans les ravissans mémoires sur