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problème n’est pas résolu ? Confierez-vous la protection du prolétaire aux hommes qui partagent ses privations ? ils n’ont pas de force ; la confierez-vous aux riches ? ils seront les premiers à trahir le pauvre. »

Les lettres de M. de Sismondi n’eurent aucune influence ; le conspirateur ne comprit pas l’économiste et ne s’occupa que de multiplier les comités révolutionnaires. Suivant lui, l’insurrection et la démocratie devaient résoudre tous les problèmes. « Le peuple, écrivait-il, triomphera du provincialisme, de l’aristocratie, des armées, de l’inaptitude des chefs ; le temps des individus est passé, nous sommes aujourd’hui dans l’ère des peuples. C’est par la démocratie que les Italiens doivent arriver à l’unité nationale, à l’indépendance, sans imiter ni les fédérations aristocratiques de l’Allemagne et de la Hollande, ni le fédéralisme démocratique des Américains. La révolution italienne n’aura pas lieu ou elle sortira tout armée de la foule, et l’Italie, après cinq cents ans d’esclavage, libre jadis dans ses nombreuses républiques, redeviendra libre pour ne plus former qu’une seule république. » M. Mazzini se fie tellement à l’élan révolutionnaire, qu’il rejette bien loin toute idée de dictature, car, dit-il, la dictature est individuelle, et elle ne diffère pas assez de la monarchie.

La jeune Italie gagnait du terrain à mesure que se poursuivait la publication du journal de M. Mazzini. Une correspondance active tenait le jeune publiciste au courant de la situation de la péninsule. M. Mazzini livrait à la publicité des détails affreux sur les tribunaux de la Romagne, sur le gouvernement de Modène, sur la police de Naples, qui enfermait des républicains (M. Ricciardi) à l’hôpital des fous. C’était Henriette Castiglioni qui sortait mourante des prisons de l’Autriche, où elle avait suivi volontairement son mari ; c’était le père de M. Lacecilia qu’on emprisonnait pour punir le fils d’avoir attaqué le gouvernement napolitain dans le journal de M. Mazzini. Le fils de M. Lacecilia révélait la persécution qui frappait sa famille, et publiait même les lettres désolées de sa mère, mais il restait à son poste plus ardent que jamais. Les provinces italiennes s’ignorent complètement les unes les autres, les persécutions de la Romagne et de Naples restent à peu près inconnues dans la Haute-Italie ; l’action des gouvernemens italiens est trop arbitraire pour ne pas exiger le silence le plus absolu de la presse. Qu’on se figure l’effervescence excitée par un journal incendiaire qui portait au grand jour mille faits de nature à mettre les armes à la main des plus indifférens. Il est inutile de dire que le journal fut défendu, que ce fut un crime d’en posséder des exemplaires, un crime puni de trois ans de galères en Piémont, et de