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le génie de Bonaparte ; à ses yeux, le premier consul est déjà l’arbitre du monde ; mais il lui rappelle que les titres de capitaine invincible, de législateur philosophe et de prince citoyen deviendront, devant l’Europe et la postérité, de sanglantes injures, du moment où cette république, bien que fille de sa valeur et de sa sagesse, restera le jouet de proconsuls voleurs, de citoyens outrecuidans et de magistrats timides. Condamné à accepter la dictature de Napoléon, Foscolo veut croire à l’alliance de la gloire et du génie, et il espère la régénération de l’Italie. « N’entends-tu pas, dit-il à Napoléon, l’Italie qui s’écrie : L’ombre de mon génie s’était réfugiée dans cette ville qui, fondée au milieu de la mer, grandissait à l’abri de toutes les forces mortelles, et il semblait que là les destinées de Rome dussent garder un asile éternel à la liberté italienne ? Cette ville a été détruite par le temps qui gouverne les vicissitudes terrestres, par la politique des nations plus fortes, peut-être par ses propres vices, et les générations humaines entendront sortir de ses ruines avec un frémissement plaintif le nom de Bonaparte. Cependant l’accusation deviendra un éloge, car l’histoire, assise sur ces mêmes ruines, écrira : Le sort était contre l’Italie, et Bonaparte contre le sort ; il a anéanti une ancienne république, mais il en fondait une autre plus libre et plus grande. Bonaparte voudra-t-il accepter cette gloire ? » Foscolo paraît en douter, il fait observer que d’autres aussi grands que lui ont préféré l’infamie, « et de nombreux, et illustres exemples, ajoute-t-il, sanctifient désormais cette maxime des sages, que nul homme ne doit être appelé vertueux et bienheureux avant la mort. »

Le royaume d’Italie trouva Foscolo fidèle au programme tracé avec tant d’éloquence à la consulte de Lyon ; aussitôt que la politique du premier consul se dessina, le poète ne cessa de protester. « Si nous sommes serfs, disait-il, que le monde sache que nous ne sommes ni aveugles ni lâches. » Déjà suspect lors du procès de Moreau, il avait été relégué à Vincennes : à Milan, il subit les persécutions de la cour française de Beauharnais. Poète solitaire, il tranchait par son indépendance sur cette littérature impériale du royaume d’Italie si éblouissante dans sa pompe servile ; tous les écrivains italiens se rapprochaient du trône, et Foscolo chantait les Sépulcres ; il n’était question que des victoires de l’empereur, et il évoquait les ombres d’Alfieri et de Parini, les ennemis de l’étranger qui foulait le sol italien. Parfois Foscolo aurait voulu imiter Cocceius, qui meurt pour ne pas être souillé par le contact d’une société soumise au joug d’Octave.