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je ne répondrais pas d’avoir tout vu. Au surplus, il s’agit ici moins d’une collection et d’un musée que d’une sorte de magasin ; ce n’est pas qu’un certain ordre n’ait présidé au classement des objets, mais ces objets, la plupart du temps, n’ont aucune raison d’être là. Cependant il faut s’étonner de l’espèce de naïveté avec laquelle la Galerie verte s’enorgueillit de certaines raretés équivoques, fort peu dignes de figurer sur les étagères d’un musée royal. On ne peut s’empêcher d’admirer ses porcelaines et ses bijoux en style rococo, sans parler d’une quantité de perles monstrueuses représentant toute sorte de fruits, de nains difformes et de petits chars à contenir la reine Mab ; je rappellerai ici les émaux de Raphaël Meng, les curieux travaux en pietra dura, et surtout une merveilleuse collection d’objets taillés dans le cristal de roche, dans l’ivoire et le bois.

Le style rococo est assurément quelque chose de monstrueux dans l’art, ce qui ne l’empêche pas le moins du monde d’avoir sa grace et son mérite comme certaines fleurs, monstrueuses aussi à force de beauté le dahlia double, par exemple. Sous la révolution (ne serait-ce point elle qui aurait inventé le terme), toute vieillerie avait droit à cette dénomination, et l’on ne saurait dire combien ce mot de rococo, auquel s’attache aujourd’hui un sens plutôt favorable, a tué dans son enfance d’ouvrages et d’idées passés de mode. C’était l’arme dont les démolisseurs se servaient quand par hasard la fantaisie leur prenait de sourire, le trait venimeux dont on piquait à mort ce que la guillotine ne pouvait atteindre. Du reste, cette transition du style renaissance au style rococo ne se fait guère que sur les dernières années du règne de Louis XIV. Abandonné par la fortune et par sa propre confiance en lui-même, à jamais revenu des joies olympiennes de sa jeunesse, le grand roi, auguste et solennel ici comme partout, s’absorbe dans les pratiques de la dévotion, et plût à Dieu que l’histoire n’eût à reprocher à sa vieillesse que Mme de Maintenon et les révérends pères jésuites ! On conçoit qu’en France un pareil régime devait tôt ou tard amener sa réaction. Elle arriva le lendemain du jour où Louis XIV rendit l’ame. Aux tragédies bibliques de Saint-Cyr succédèrent les orgies de la régence, et le besoin fut tel de réagir contre l’hypocrisie de la veille, qu’on en vint à traiter la vertu de pruderie. L’existence revêt alors je ne sais quel caractère inoui d’extravagance et de sensualité. L’art, la mode, les mœurs, suivent de front la même voie ; vous diriez une ivresse générale, un carnaval sans fin. On se barbouille les joues de rouge et de blanc, on se met de la poudre et des mouches, on fait de ses souliers des échasses, de ses vêtemens un édifice,