Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/1142

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gouvernement qui consulte la chambre, c’est la chambre qui consulte le gouvernement, sauf à se passer de ses avis. Le ministère a ses projets de lois qui sont défigurés, meurtris dans la discussion, et vont périr au scrutin ; la chambre a ses propositions qui occupent tous les esprits, qui répondent aux besoins, aux intérêts, aux passions du jour, qui animent la presse et la tribune. Ainsi l’initiative parlementaire, développée outre mesure par la faiblesse ou la timidité du pouvoir, met le pouvoir au second rang. Triste situation pour un cabinet où l’illustration, l’éloquence, le talent des affaires, brillent d’un si vif éclat ! situation dangereuse, qui préoccupe tous les esprits sérieux. En effet, depuis un mois, l’agitation du monde politique a changé d’objet. Il y a un mois, la question du droit de visite, Taïti, l’alliance anglaise, étaient le sujet de tous les entretiens et de tous les reproches contre le cabinet. Aujourd’hui, ces reproches ont fait place à d’autres tout aussi graves, et qu’une triste évidence justifie. On accuse le ministère de perpétuer une situation où le pouvoir s’amoindrit tous les jours, et les accusateurs ne sont pas tous dans l’opposition. Si le ministère regarde attentivement autour de lui, il peut déjà voir des amitiés mécontentes, des dévouemens ébranlés. Plus d’un admirateur de M. Guizot, plus d’un membre de la réunion Lemardelay commence à se dire, comme nous le disons nous-mêmes, que la situation s’aggrave, que le pouvoir s’abaisse, que des habitudes dangereuses s’introduisent dans le parlement ; que l’immobilité, l’isolement, ne sont pas la vie du gouvernement représentatif ; qu’un ministère dont la majorité flotte entre quatre et onze voix, et qui perd cette majorité dans les questions d’affaires, est exposé d’un jour à l’autre à périr d’inanition ; qu’après tout, les ministres du 29 octobre, en se faisant adresser il y a un mois les encouragemens de la réunion Lemardelay, ne lui avaient pas révélé toute la faiblesse de leur position ; que les conservateurs se sont engagés les yeux fermés, qu’il est temps pour eux de les ouvrir, d’arrêter les suites d’une erreur funeste, et de délivrer leur responsabilité. Voilà les réflexions que commencent à faire des hommes dont le dévouement à la cause conservatrice a été habilement exploité, et qui craignent aujourd’hui d’avoir été pris pour dupes. Ces réflexions ne sont pas les seules. En voyant le cabinet du 29 octobre accepter si facilement la situation qui lui est faite, apporter si peu de résistance aux envahissemens de la chambre, et laisser grandir devant lui les difficultés, une pensée est venue naturellement. On s’est demandé s’il y aurait dans le ministère un projet formé de gagner du temps pour augmenter les embarras de la succession ministérielle, et pour arriver à la dissolution. Y aurait-il en ce moment une politique qui spéculerait sur l’affaiblissement du parti conservateur dans une nouvelle chambre, comme elle a spéculé jusqu’ici sur sa force ? Y aurait-il des gens qui se diraient : Si le parti conservateur succombe avec nous dans les élections, nous recueillerons ses débris, nous en formerons une minorité imposante, un parti puissant, à la tête duquel nous dominerons le gouvernement ? S’il est vrai qu’un pareil calcul existe, il ne faut pas s’étonner que le parti ministériel s’ébranle.