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sur la situation des fonctionnaires dans la chambre ramenaient sur le tapis la question des incompatibilités ; M. de Rémusat devait naturellement reprendre sa proposition. Il l’a développée avec cette finesse et cette élégance de parole qui le distinguent. Son discours est un modèle de précision et de clarté. Il a eu l’art de dire des vérités dures sans blesser les gens ; il a fait plus d’une fois sourire ses victimes. Quant au ministère, quelle a été son attitude ? Quel langage a-t-il tenu ? Pendant plusieurs jours, il est resté en suspens. Deux opinions se sont partagé le cabinet. L’une voulait qu’on repoussât la prise en considération, l’autre qu’on l’acceptât. Enfin, ce dernier parti, soutenu par M. Duchâtel, a prévalu. Le ministère a donc déclaré, par l’organe de M. Guizot, qu’il admettait la prise en considération, mais qu’il se réservait de combattre énergiquement le principe des incompatibilités. Étrange contradiction, nouvelle preuve d’inconsistance et de faiblesse : l’année dernière, M. Guizot s’opposait à la discussion des incompatibilités, qu’il jugeait dangereuse ; aujourd’hui, sous le vain prétexte que cette discussion peut convertir certains esprits, il l’accepte, dans la crainte d’un échec, sacrifiant ainsi à ses intérêts ceux de son parti, et lui faisant adopter, d’une année à l’autre, deux résolutions contraires. Est-ce là ce qui s’appelle conduire une majorité, suivre un système, et conserver intact le dépôt du pouvoir ? Lorsque des conservateurs effrayés sont allés, il y a un mois, remettre leur cause entre les mains de M. Guizot, est-ce ainsi qu’ils l’ont prié de la défendre ?

Tout a été dit sur la conversion ; la question est jugée. Le ministère devait s’attendre à la voir reparaître. Comment a-t-il traversé cette nouvelle épreuve ? Tout le monde le déclare, ses amis comme ses adversaires, il a été timide et inconséquent : timide, en n’osant pas repousser nettement une mesure qu’il trouve inopportune ; inconséquent, en prenant l’engagement téméraire de présenter un projet de conversion l’année prochaine, comme si un ministère pouvait, dix mois à l’avance, répondre des évènemens. Mais, dites-vous, si les évènemens sont contraires, nous ne présenterons pas la conversion. Alors pourquoi prendre un engagement ? N’eût-il pas été plus simple de ne rien dire ? La franchise n’eût-elle pas été ici un bon calcul ? Cependant le ministère a persisté jusqu’au bout dans cette fausse voie. Lorsque M. Muret de Bort a proposé un projet de concession immédiate, le ministère a d’abord hésité s’il admettrait la prise en considération ; puis, toutes réflexions faites, plus jaloux de sa conservation que de sa dignité, il s’est résigné à subir ce nouvel affront. Il a déclaré qu’il ne s’opposait pas à l’examen de la mesure proposée par M. Muret de Bort, mais qu’il combattrait la mesure dans la discussion.

Ainsi, ce n’est pas le pouvoir qui fixe le terrain des débats parlementaires ; c’est la chambre des députés. Qu’il s’agisse de politique étrangère, de politique intérieure, d’administration, de finances, c’est la chambre qui pose les questions ; ce n’est pas le ministère. Les rôles sont changés. Ce n’est pas le