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Puisque Mme la baronne d’Arnim était si préoccupée d’élever un monument aux mânes de Clément Brentano, que ne nous donnait-elle une édition revue et définitive des poésies du mystique rêveur ? Là du moins le zèle pieux qu’elle aime tant à montrer se fût, il semble, exercé plus utilement. Il fallait choisir soigneusement parmi les meilleures pièces, annoter au besoin et composer de la sorte un petit volume où les esprits curieux de toute chose en littérature, même d’extravagances, fussent allés chercher le véritable sens de cette imagination bizarre, de cette riche intelligence enfouie sous un fatras cabalistique et démonologique, à travers lequel l’étincelle perce pourtant par intervalles. C’eût été là un méritoire service rendu au souvenir de Clément, un service d’autant plus réel, que ses poésies, je parle des meilleures, de celles qu’une heure sereine et lucide vit éclore, portent en général le cachet de son originalité. En-deçà comme au-delà des morceaux dont je parle, qu’il s’agisse de causerie intime ou de confidences épistolaires, vous ne trouverez guère que prélude ou bien écho affaibli. La préoccupation unique de Mme d’Arnim en cette affaire était de donner un certain montant à quelques divagations échappées à la jeunesse de son frère. De là des remaniemens continuels du texte, dont le lecteur ne saurait être dupe, toute sorte d’arrangemens, d’impromptus à tête reposée dont le moindre défaut n’est pas toujours de mettre au bout de la plume de Clément le style individuel, caractéristique de Bettina. Le malheur veut qu’un tel système ait quelque peu vieilli ; Mme d’Arnim n’en est pas aux débuts avec ces interpolations singulières, et quand on a mis en prose des vers de Goethe pour laisser croire aux gens que la redite, l’illustration, était du côté du poète, tandis qu’elle, l’enfant, donnait le motif génial, on peut tout se passer en fait de caprices de ce genre. Je le répète, le procédé n’a point changé, c’est toujours le même exercice, la même pirouette ; seulement, cette fois, notre zingara décrit ses évolutions autour de l’ombre de son frère trépassé, ce qui donne au ballet une physionomie éminemment fantastique, et vous force à songer au célèbre pas de la nonne au troisième acte de Robert-le-Diable. Un peu de musique de Meyerbeer ici conviendrait à merveille.

Je doute que ces lettres aient jamais été écrites, en tant que correspondance du moins. Qu’elles existassent à l’état de fragmens épars, de notes dispersées sur les feuillets d’un livre de jeunesse, remanié après coup, on l’admettrait plutôt. Le fait est que ces lettres sont sans date ; pour la plupart, elles ont trait à des évènemens de la révolution française. Le duc de Choiseul habite à Francfort la même rue que Bettina ; tous les après-midi, le noble émigré se rend à la maison Brentano, où le prince d’Aremberg arrive aussi chargé d’un dossier de lettres de Sieyès, de Mercier, de Pétion, et de tant d’autres, documens « intéressant au plus haut point les destinées du monde. » Tout ce que Bettina entend là « met sa jeune ame en désaccord avec ce que le monde lui présente, et lève à ses yeux le voile de la corruption. » Le soir, lorsque chacun s’est retiré, l’aïeule et l’enfant causent ensemble ; d’ordinaire