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un autre mobile qu’un besoin de se mêler de tout, qui le rendait incommode et suspect au premier consul, et lui donnait souvent les apparences d’un intrigant subalterne. Du reste, sa physionomie intelligente, vulgaire, équivoque, rendait bien les qualités et les défauts de son ame. » N’est-ce pas là une manière de peindre simple et large ? Évidemment l’historien qui, en quelques lignes, livre au lecteur un personnage aussi vivant, l’a long-temps étudié dans ses actes et dans sa vie. L’écrivain n’arrive à des résumés puissans qu’à travers la patience d’une analyse exacte. Nous ne transcrirons pas ici le portrait de M. de Talleyrand, quelque achevé qu’il soit ; il faut savoir se borner. Nous relèverons en passant un trait charmant. M. Thiers dit que M. de Talleyrand était doué d’une paresse utile, et qu’il rendait au premier consul de véritables services par son penchant même à ne rien faire. C’est avec une pleine indépendance que l’historien du consulat et de l’empire apprécie le célèbre diplomate. Nous disions ici, il y a deux ans, en parlant des brillans Éloges de M. Mignet, que le moment de juger M. de Talleyrand n’était pas encore venu. Pour M. Thiers seul, en possession de tous les documens que nous avons indiqués plus haut, le moment a pu venir, et nous croyons que, sauf des révélations imprévues, le jugement porté par M.. Thiers sera définitif.

Dans le portrait de M. de Talleyrand, et au sujet de sa conversation, nous n’aurions pas trouvé le nom de Voltaire, qu’il nous eût été impossible de ne pas établir une comparaison entre l’auteur de l’Essai sur les mœurs des nations et l’historien du consulat et de l’empire. Tous deux portent dans l’histoire au même degré la rapidité du coup d’œil, un bon sens supérieur, une clarté irrésistible. Nous parlons du bon sens de Voltaire, quand la vivacité de ses passions anti-chrétiennes ne l’égare pas. Maintenant constatons les différences. Il y a dans la prose de l’auteur du Siècle de Louis XIV une continuité d’élégance qu’on retrouve dans toutes les parties, dans tous les détails, quelque rapide que soit la marche de l’écrivain. L’historien de Napoléon n’a pas cette égalité classique dans l’éclat du style ; mais pour les qualités du fond il a sur Voltaire de notables avantages, il est sérieux et politique. C’est la gloire de Voltaire que son scepticisme n’ait rien ôté à son dévouement pour la cause de l’humanité, mais il faut reconnaître que ce scepticisme l’a souvent empêché, en dépit du plus admirable talent, d’atteindre l’austère grandeur de l’histoire. L’homme qui dans sa correspondance a écrit cette phrase : « J’ai pris les deux hémisphères en ridicule, c’est un coup sûr, » a dû plus d’une fois défigurer ce genre humain qu’il voulait peindre. On n’est pas plus juste en se