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intéressantes, des documens utiles. N’est-il pas de l’intérêt commun qu’un écrivain, ayant la position et l’autorité de M. Thiers, tienne entre ses mains tout ce qui peut éclairer sa religion d’historien ? Nous avons donc ici une histoire vraiment : puisée aux sources, aux sources primitives et les moins altérées.

Mais il se trouve, et ceci n’étonnera que les hommes qui n’ont pas réfléchi sur la science et l’art de l’histoire, qu’avec le nombre et l’abondance des matériaux la difficulté d’élever un monument augmente. Pour les modernes, la science et l’art de l’histoire sont dans de tels rapports, que plus la science recule ses limites, plus l’art de l’écrivain a d’obstacles à vaincre. Sans doute, si l’antiquité nous a légué, dans la littérature historique, d’admirables artistes, c’est surtout au génie naturel de ces hommes privilégiés que nous devons ce précieux héritage ; toutefois il faut faire la part de la civilisation politique au milieu de laquelle ces hommes vivaient. Les faits et les évènemens se produisaient pour ainsi dire avec une simplicité classique qui était, pour la mise en scène, comme une préparation première. Dans nos sociétés modernes, que de complications dans les faits, que de ramifications dans les évènemens et dans les choses ! Tout est complexe et immense raconter les destinées d’un des grands états de l’Europe, c’est avoir à vaincre tout ensemble les difficultés d’une histoire particulière et d’une histoire générale. Que sera-ce s’il s’agit de la France au moment où elle accomplit sa révolution, où elle soulève toutes les questions tant pour elle que pour les autres peuples, où elle est en lutte avec tous les gouvernemens de l’Europe, où elle enfante, au milieu des tempêtes, une société nouvelle ! C’est de cette mêlée ardente de question à et de choses, de cette masse immense de matériaux qu’accumulent la succession rapide des plus grands évènemens, les discussions des assemblées, les bulletins des généraux, la correspondance des diplomates, les rapports de tous les agens politiques, c’est de cette masse immense et confuse qu’il faut tirer non pas une compilation intéressante, mais une œuvre d’art, si l’on veut prendre place dans la famille des grands historiens. Ces difficultés sont si grandes, qu’avec la plus sincère confiance dans les qualités supérieures de l’esprit de M. Thiers on pouvait craindre qu’il ne parvint pas entièrement à les surmonter ; mais, disons-le sur-le-champ, elles ont été tout-à-fait vaincues, et de cette lutte le talent de l’écrivain est sorti plus grand et plus fort que nous ne l’avions encore vu.

L’Histoire da Consulat et de l’Empire est composée avec un art merveilleux. Grace à la connaissance anticipée du troisième volume