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amoureuses succéder à des bavardages médisans sur la femme du voisin ? Vous êtes au courant de toutes choses : voici des sonnets de province qui prêtent à rire, voilà la fleur des nouveautés poétiques que le dernier ordinaire a apportées de Paris. Court-il des couplets, même messéans, par la ville ? on vous en garde la primeur. Y a-t-il un bal ? vous aurez une place de réserve. Y a-t-il une dévotion ? votre stalle sera gardée dans le chœur. Pas une figure plaisante ne passe d’ailleurs sans qu’on ne vous en offre une jolie silhouette : l’avocat dameret qui se faisait suivre de deux grands laquais à galons verts ; le prédicateur pédantesque qui montrait les rapports des Grands-Jours avec le jugement universel, la caillette de province avec ses bras baissés comme une poupée, rien n’échappe à la malice déliée de l’observateur. Caquetages de boudoirs, chronique de la salle des pas-perdus, rivalités médisantes, bruits envieux des cellules, traits échappés à la verve des causeries, tout s’enchaîne, tout se succède avec un merveilleux agrément et un air de négligence indifférente qui ne messied pas. On s’intéresse à ces commérages de la petite ville qui font revivre toute une époque, à ces anecdotes bizarres qui sont autant de peintures de mœurs. Sous cet air de futilité se cachent de sérieux enseignemens pour l’historien. Un jeu de rayon montre des milliers d’atomes à l’œil qui ne les soupçonnait pas : tout un petit monde inconnu reparaît ainsi et s’agite dans ces pages d’apparence frivole.

L’un des plus grands charmes des nouveaux Mémoires de Fléchier, c’est l’art achevé du narrateur. Si réels que soient ses récits, on voit tout de suite qu’il a de la propension à les arranger avec grace, et qu’il ne lui coûterait guère d’inventer aussi de tendres aventures. Y a-t-il, en effet, une situation un peu touchante, aussitôt il la caresse, il s’y applique, il entre dans les raisons des acteurs, il prête aux personnages leur langage probable, il insère des conversations arrangées comme les historiens de l’antiquité prêtaient des harangues à leurs héros ; en un mot, il fait du roman historique en matière de sentiment. Il excelle à décrire une inclination naissante dans une jeune ame, à marquer les fines nuances de la passion, à tracer ces subtiles analyses de cœur auxquelles Mme de La Fayette, quelques années plus tard, se complaira dans la Princesse de Clèves. Quelques histoires de ce genre sont parfaitement narrées : ainsi celle de cette adorable trompeuse qui, neuf ans fidèle à une liaison contrariée, finissait, la veille du mariage, par abandonner son amant, et par courir aux bras du premier arrivant qui se voulait pourvoir d’une galanterie ; ainsi celle de ce berger et de cette bergère qui se donnaient l’un à