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thème de badinage amoureux, et cette fois l’ironie s’en mêla. Le malin abbé, sans autre précaution oratoire, déclara qu’il était plus inquiet pour le cœur de Judith que pour la tête d’Holopherne. « Peut-être ne perdrait-il pas la vie, et vous pourriez perdre quelque autre chose que les demoiselles sages comme vous’ estiment autant. » Et plus loin il insistait encore

Je crois que vous irez comme elle,
Climène, mais apparemment
Vous en reviendrez autrement.


Le propos était un peu vif de la part d’un abbé, et Fléchier dépassait du coup son maître l’évêque de Vence, le prélat chéri des précieuses. Godeau du moins avait publié ses tendres Lettres à Bellinde plusieurs années avant de songer à la prêtrise, et, comme il l’a dit lui-même :

Alors qu’un jeune sang, bouillonnant dans ses veines,
Rendait son cœur sensible aux amoureuses peines.


On le voit, Fléchier, en rimeur relaps de frivolités amoureuses, était très capable d’envoyer à Mlle de Lavigne cette lyre émaillée qui lui parvint mystérieusement dans une petite boîte de coco. Goujet n’en dit rien ; mais une prévenance si raffinée me semble tout-à-fait digne de cette imaginative fleurie. Je soupçonne du reste, comme on n’était plus dans l’âge d’or, que tout cela se passait le plus innocemment du monde. Personne n’en était scandalisé, et un jour, à Saint-Germain, que M. l’évêque de Condom avait à dîner M. de Cordemoy, M. l’abbé Fléchier et M. Regnier-Desmarais, on lut des vers de Mlle de Lavigne qui parurent charmans, mais qu’on trouva trop froids. Nous aurions mauvaise grace à nous faire plus prude que Bossuet.

Cette belle inclination se passa-t-elle uniquement dans la région idéale des désespoirs convenus et des sentimens arrangés ? Ne fut-ce qu’une contenance obligée de soupirant de ruelle ? C’est un point qu’auront à débattre les biographes. Je sais bien que, dans l’aimable portrait qu’il fait de lui-même, Fléchier dit : « Il n’y a guère d’homme plus sensible. » De plus, le portrait se trouve adressé, c’était de rigueur, à une belle dame anonyme : « Il est juste que vous sachiez comment est fait et comment se gouverne un cœur que je suis persuadé que vous possédez. » S’agit-il ici de Mlle de Lavigne ? On serait presque tenté de le croire ; mais cela ne prouverait rien encore. Fléchier, continuant de se peindre, ne dit-il pas à un endroit : « La cour a loué sa politesse, et les dames les plus spirituelles ont trouvé ses lettres