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esprits de l’époque : le recueil de Vers choisis du père Bouhours contient plusieurs pièces d’elle, dans le goût des madrigaux quintessenciés de Mlle de Scudery et des langoureuses fadeurs de Mme de La Suze, Goujet nous apprend qu’elle mourut encore jeune, en 1684, un an avant la promotion de Fléchier à l’épiscopat : c’est à une date fort antérieure que je rapporte la liaison du futur évêque avec la belle muse normande. On voit par les lettres mêmes dont il est question que la plupart furent écrites quand Bossuet occupait le siège de Condom, par conséquent après 1669. Fléchier alors était déjà sorti de la jeunesse, il avait plus de trente-cinq ans, il était à la veille de prononcer sa première oraison funèbre, celle de la duchesse de Montausier, qui est du 2 janvier 1672. Puisque ces obscurs et curieux commencemens n’ont été mis en lumière par aucun biographe, on me permettra d’en dire un mot. La correspondance avec Mlle de Lavigne est la dernière, la plus tardive trace des mondaines influences que les mœurs de l’hôtel Rambouillet exercèrent sur le talent de Fléchier. Dans la phase première et inconnue de sa vie d’écrivain, c’était un héritier perfectionné des coquetteries de Voiture, un précurseur des graces de Mlle de Launay ; demain ce ne sera plus que le successeur solennel, le vainqueur, si l’on veut, du pompeux Balzac. Plus d’un lecteur peut-être aura désormais l’impertinence de préférer les Mémoires sur les Grands-Jours à l’Oraison funèbre de Turenne ; c’est à désespérer tous les honnêtes esprits qui croient à la rhétorique.

Les lettres de Fléchier à Mlle de Lavigne sont écrites sur ce ton de galanterie exagérée et assez innocente au fond que les salons avaient mis en honneur, et dont Boileau chassa la mode en se moquant sans pitié des poètes

Qui, toujours mangeant bien, meurent par métaphore.

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Aussi ne faut-il pas voir dans ces singuliers billets, entremêlés de prose et de vers, plus qu’il n’y a réellement. Quelquefois ce sont de simples lieux communs de ruelle et comme des développemens de politesse amoureuse, de passion de société, relevés par l’effort du tour élégant, par la recherche de l’expression précieuse. S’agit-il, par exemple, des merveilles de l’âge d’or et de ces graces qu’on dit que la nature avait quand elle était jeune, quelque Tircis ne manque pas d’être mis en jeu et de vanter les faciles plaisirs de ce temps-là :

La pudeur n’était pas une vertu connue ;
Nul remords ne troublait leurs désirs amoureux ;
Ils étaient innocens lorsqu’ils étaient heureux.