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où l’on n’a pas entendu malice apparemment. Tout ceci soit dit pour montrer que Louise Labé a pu s’émanciper quelque peu dans ses vers sans trop déroger aux convenances d’un siècle infiniment moins difficile que le nôtre.

Il est vrai qu’elle s’émancipe un peu plus qu’on ne le ferait aujourd’hui ; son 18e sonnet est tout aussi brûlant qu’on le peut imaginer, et semble du Jean Second tout pur ; c’était peut-être une gageure pour elle d’imiter le poète latin ce jour-là. Louise était savante, elle lisait les maîtres, elle avait contracté dans le commerce des anciens cette sorte d’audace et de virilité d’esprit qui peut bien n’être pas toujours un charme chez une femme, mais qui n’est pas un vice non plus. Il faut ne pas oublier cette éducation première en la lisant ; mais surtout un trait chez elle absout ou du moins relève la femme, et la venge des inculpations vulgaires : elle eut la passion, l’étincelle sacrée, c’est-à-dire, dans sa position, le préservatif le plus sûr. Il lui échappe en quelques endroits de ces accens du cœur qu’on ne feint pas et qui pénètrent. Bayle et Du Verdier, qui n’entendaient pas finesse au sentimental, ont pu prendre ces élans pour des marques d’un désordre sans frein et continuel : libertinage et passion, c’est tout un pour eux ; et Bayle, sans plus de délicatesse, se retrouve ici d’accord avec Calvin. J’en conclurais plutôt (s’il fallait conclure en telle matière) que Louise Labé, en mettant les choses au plus grave, dut être pendant des années aussi uniquement occupée qu’Héloïse.

Les œuvres de Louise Labé se composent en tout, d’un dialogue en prose intitulé : Débat de Folie et d’Amour, de trois élégies et de vingt-quatre sonnets. Une sérieuse et charmante épître dédicatoire à Mademoiselle Clémence de Bourges, lionnoise, prouve mieux que toutes les dissertations à quel point de vue studieux, relevé et, pour tout dire, décent, Louise envisageait ces nobles délassemens des muses : « Quant à moi, dit-elle, tant en escrivant premièrement ces jeunesses que en les revoyant depuis, je n’y cherchois autre chose qu’un honneste passe-temps et moyen de fuir oisiveté, et n’avois point intention que personne que moi les dust jamais voir. Mais depuis que quelcuns de mes amis ont trouvé moyen de les lire sans que j’en susse rien, et que (ainsi comme aisément nous croyons ceux qui nous louent) ils m’ont fait à croire que les devois mettre en lumière, je ne les ai osé esconduire, les menaçant cependant de leur faire boire la moitié de la honte qui en proviendroit. Et pour ce que les femmes ne se montrent volontiers en public seules, je vous ai choisie pour me servir de guide, vous dédiant ce petit œuvre… »