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l’instinct et le génie du négoce au noble goût des arts et des lettres. De telle sorte, la renaissance à Lyon s’était faite insensiblement par voie d’infusion successive, et il y eut bien moins lieu que partout ailleurs au coup de tocsin de 1550, qui ressemblait à une révolution. Les preuves de ce fait général seraient abondantes, et le Père de Colonia, sans en tirer toutes les conséquences, a pris soin d’en rassembler un grand nombre dans l’histoire littéraire qu’il a tracée de sa cité adoptive. L’Académie de Fourvière, espèce de société de gens doctes et considérables, d’érudits et même d’artistes, dans le goût des académies d’Italie, et qui devançait la plupart des fondations de ce genre, date du commencement du XVIe siècle. Lorsqu’au début de son règne Henri II, avec Catherine de Médicis, fit sa première entrée solennelle à Lyon en septembre 1548, la petite colonie des Florentins voulut donner à la reine le régal de la Calandra, représentée par des comédiens qu’on avait mandés exprès d’au-delà des monts. La fête même de cette réception était dirigée dans son ensemble par Maurice Sève, ancien conseiller-échevin et poète distingué du temps : les Sève tiraient leur origine d’une ancienne famille piémontaise. Ce Maurice Sève, qui célébra en quatre cent cinquante-huit dizains une maîtresse poétique sous le nom de Délie, s’acquit l’estime des deux écoles ; les novateurs, qui aspiraient à introduire une poésie plus savante et plus relevée que celle de leurs devanciers, ne manquent jamais, dans leurs préfaces et manifestes, d’admettre une exception expresse en faveur de Maurice Sève. Celui-ci faisait en quelque sorte école, une école intermédiaire, et lorsque Pontus de Thiard qui écrivait dans le Mâconnais, c’est-à-dire dans le rayon ou ressort poétique de Lyon, publiait en 1548 ses Erreurs amoureuses, qui devançaient les débuts de la Pléiade à laquelle il allait appartenir, c’est à Maurice Sève qu’il adressait le premier sonnet. On le voit donc, la réforme poétique, tentée ailleurs avec éclat et rupture, s’entamait à Lyon sans qu’il y eût, à proprement parler, de solution de continuité ; mais il n’en faudrait pas conclure qu’elle s’y produisît plus coulamment ni d’une veine plus ménagée. L’érudition de Maurice Sève et de Pontus de Thiard, leur quintessence platonique et scientifique ne laisse rien à désirer aux obscurités premières de Ronsard et de ses amis, et ils n’ont pas l’avantage de se dégager par momens, comme ceux-ci, avec netteté, avec un jet de talent proportionné à l’effort ; ils ne se débrouillent jamais. Louise Labé était disciple de Maurice Sève, et elle lui dut assurément beaucoup pour les études et les doctes conseils ; mais, si elle atteignit dans l’expression à quelques accens heureux, à