Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/1054

Cette page a été validée par deux contributeurs.

religion. On suppose évidemment ici qu’il y a contradiction entre le christianisme et la philosophie, que la philosophie est la vérité et la lumière, le christianisme l’imposture, les ténèbres et l’erreur, que nous ne voulons du christianisme que comme d’un moyen de police bon pour contenir les masses populaires. Mais cette contradiction radicale, absolue du christianisme et de la philosophie, sur laquelle on s’appuie pour dénoncer notre hypocrisie, on la suppose, on ne la prouve pas. On nous impute de la reconnaître, et nous la repoussons énergiquement au nom de l’histoire et de la raison. Oui, sans doute, il y a différence entre le christianisme et la philosophie, et cette différence suffit pour déterminer une rivalité, une lutte nécessaires ; mais d’une lutte généreuse et pacifique entre deux puissances spirituelles, à une guerre acharnée, à un combat à mort, où l’un des deux adversaires doit succomber, n’y a-t-il pas toute la différence qui sépare le tumulte et l’anarchie des principes de ce mouvement régulier qui fait l’ordre et la vie ?

Le catholicisme et le protestantisme ne sont-ils pas deux puissances diverses ? Chacune d’elles n’aspire-t-elle pas à absorber l’autre ? Est-ce qu’elles ne vivent pas régulièrement toutes les deux sous la protection commune des lois de l’état ? C’est que le catholicisme, comme le protestantisme, comme cette autre religion qui s’appelle la philosophie, sont également dignes de l’homme, également capables d’exercer le ministère spirituel, et de répandre dans la société des idées morales et religieuses. Voilà pourquoi l’état peut et doit les protéger également, et en même temps les contenir dans certaines limites, celles de la justice et de la raison universelles, pour l’intérêt commun de la société. Si le pasteur protestant ne voit pas un ennemi dans le prêtre, pourquoi le philosophe verrait-il dans le prêtre et le pasteur de mortels adversaires ? C’est au philosophe, au contraire, plus qu’à tout autre, de comprendre les puissances qui sont distinctes de la sienne, sans lui être opposées, et de les respecter en les comprenant. Ce commun respect de la philosophie et de la religion l’une pour l’autre n’ôterait rien à la liberté de leur action, et ceci nous amène à répondre d’un seul mot au dernier reproche qu’on nous adresse, celui de réduire la philosophie à l’inertie. Nous ne nous attendions pas, il faut l’avouer, à être accusés d’exprimer une ambition médiocre au nom de la philosophie ; que lui proposons, en effet ? rien de moins que ceci : la conquête pacifique du genre humain.


Émile Saisset.