Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/1050

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sant que l’ordre était beaucoup meilleur. Or, celui qui est parfait en bonté n’a pu et ne peut rien faire qui ne soit très bon[1]. »

Voilà un de ces passages qui faisaient dire à saint Justin que le Verbe de Dieu s’était révélé aux sages du paganisme avant de s’incarner dans Jésus-Christ. M. l’archevêque de Paris ne veut voir dans l’admirable morceau que nous venons de citer que les traces de dualisme qui s’y font sentir. Quant aux vérités admirables qu’il faut bien aussi y reconnaître, M. l’archevêque de Paris a recours à son expédient désespéré, l’origine orientale et judaïque du platonisme, oubliant que, deux pages après, il reproche avec une assurance triomphante à Platon d’avoir ignoré l’idée de la création, que M. l’archevêque de Paris trouve dans la Genèse en caractères éclatans. En vérité, ce pauvre Platon a été bien maladroit de lire si légèrement les premiers versets de la Genèse.

Le dernier argument de M. l’archevêque de Paris est encore une contradiction. D’un côté, il soutient que la religion naturelle a été transmise par tradition aux sages de l’antiquité, lesquels d’ailleurs n’ont pas ignoré, à ce qu’il pense, la révélation mosaïque ; de l’autre, il soutient qu’entre le christianisme et la philosophie ancienne, il y a contradiction absolue, et, se faisant une arme de cette contradiction imaginaire, il s’écrie : Comment le christianisme viendrait-il de la philosophie ancienne, puisqu’il enseigne des dogmes tout opposés ? Nous répondrons que, d’après M. l’archevêque de Paris lui-même, il y a différence et non contradiction entre Platon et saint Augustin, entre Socrate et Jésus-Christ, entre la morale d’Épictète et celle de saint Paul. D’ailleurs, personne ne soutient que la philosophie grecque soit le seul élément dont le christianisme s’est formé. Le christianisme a recueilli un triple héritage. La Grèce, Rome, l’Orient, ont concouru à son organisation. Mysticisme oriental, haute et profonde métaphysique d’Athènes et d’Alexandrie, sens pratique, esprit de discipline et de gouvernement des Romains, il a tout pris et tout fondu au creuset d’un vaste éclectisme. On a beaucoup déclamé, de nos jours, contre l’éclectisme des Alexandrins ; mais, en vérité, le tort d’Alexandrie, ce n’est pas d’avoir voulu être éclectique, mais de ne pas l’avoir été assez. Qu’est-ce qu’un système qui prétend à tout concilier et à gouverner le genre humain, et n’a rien de mieux à lui offrir qu’un Dieu inaccessible, sans personnalité et sans vie, que la pensée ne peut com-

  1. Platon, Timée, trad. de M. Cousin, t. XII, p. 119.