Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/1049

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Bible à Socrate, lequel ne sortit jamais d’Athènes que pour payer sa dette de citoyen à Potidée et à Délium. Mais ouvrez le De officiis de Cicéron, qui apparemment n’a reçu de lettres d’aucun apôtre, et dites-moi si c’est un médiocre honneur pour une école de philosophie d’avoir inspiré, avant le christianisme, des pensées comme celles-ci : « C’est la loi de la nature que tout homme fasse du bien à son semblable, quel qu’il soit, par cela seul qu’il est homme comme lui[1]. » Je trouve dans les Lois ce passage qui est encore d’un plus grand caractère : « La raison étant ce qu’il y a de plus excellent, et se rencontrant tout ensemble dans l’homme et en Dieu, il existe par elle entre Dieu et l’homme une société qui est la première de toutes. — Ce monde est donc comme la cité commune des hommes et des dieux[2]. » — « Réduire l’homme aux devoirs de la cité particulière, disait encore le stoïcisme, et le dégager à l’égard des membres des autres cités, c’est rompre la société universelle du genre humain[3]. »

Croirait-on, après avoir lu ces immortels arrêts de la sagesse philosophique, que M. l’archevêque de Paris se laisse emporter par l’idée chimérique de la religion naturelle jusqu’à soutenir qu’à mesure qu’on remonte les âges de l’antiquité, on trouve des idées plus pures sur la divinité et la morale ; qu’au contraire, plus on s’approche des temps chrétiens, plus on voit ces saintes idées s’obscurcir et se dépraver ? Voilà une étrange philosophie de l’histoire. Quoi ! Socrate a altéré les idées religieuses du polythéisme en donnant sa vie pour le dogme d’un seul Dieu ! Platon s’est formé sur la Divinité des notions moins épurées que Homère ! Quoi ! le Jupiter capricieux et libertin de l’Iliade est plus près du vrai Dieu que cet être dont Platon a écrit : « Disons la cause qui a porté le suprême ordonnateur à produire et à composer cet univers. Il était bon, et celui qui est bon n’a aucune espèce d’envie. Exempt d’envie, il a voulu que toutes choses fussent autant que possible semblables à lui-même. Quiconque, instruit par des hommes sages, admettra ceci comme la cause principale de l’origine et de la formation du monde, sera dans le vrai. Dieu, voulant que tout soit bon et que rien ne soit mauvais, autant que cela est possible, prit la masse des choses visibles qui s’agitaient d’un mouvement sans frein et sans règle, et du désordre il fit sortir l’ordre, pen-

  1. Cicéron, Des Devoirs, III, 6.
  2. Id., Des Lois, I, 7.
  3. Id., Des Devoirs, III, 6.