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quité, le platonisme, le stoïcisme, l’éclectisme d’Alexandrie, il ne voit partout que des images défigurées du modèle qu’il a pris soin de nous présenter. Or, comment M. l’archevêque de Paris a-t-il composé ce parfait modèle ? En recueillant au sein du christianisme et de la philosophie moderne toutes ces hautes vérités qui sont aujourd’hui tellement gravées dans nos ames, qu’elles nous paraissent toutes simples et toutes naturelles. Qui ne voit ce qu’il y a de factice dans cette démonstration ? Au sein de cette longue élaboration d’idées morales et religieuses, où la philosophie ancienne a épuisé sa fécondité, et dont le christianisme a plus tard recueilli les fruits, qui pourrait s’étonner de ne rencontrer nulle part un corps de doctrine aussi homogène, aussi fortement lié, que celui de l’église ? Tout grand ouvrage veut du temps. L’église elle-même n’en a-t-elle pas mis à organiser sa foi, et s’imaginerait-on qu’on enseignât au Didascalée d’Alexandrie, du temps de saint Pantène, un dogme aussi précis que celui qu’enseignent aujourd’hui les catéchistes de Notre-Dame ? M. l’archevêque de Paris voudrait-il bien nous dire où était, au viie siècle avant l’ère chrétienne, ce qu’il lui plaît d’appeler la religion naturelle ? Est-ce dans les poèmes d’Homère ou dans la théogonie d’Hésiode qu’était déposé le dogme d’un Dieu unique et spirituel ? Est-ce à Delphes ou à Éleusis que s’enseignait la spiritualité de l’ame ? Quelle voix s’est élevée pour la première fois au sein du paganisme pour attaquer les croyances polythéistes ? C’est celle de Xénophane, un des pères de la philosophie grecque. L’auteur de la Cité de Dieu a consacré une grande partie de ce bel ouvrage à combattre les superstitions de l’anthropomorphisme païen ; mais l’école d’Élée lui avait porté les premiers coups dix siècles avant saint Augustin : tant le polythéisme avait de racines dans le genre humain ! tant la philosophie grecque a eu de peine à les extirper ! tant il est chimérique de croire que le dogme d’un Dieu unique et spirituel soit une donnée naturelle et primitive de la raison ! Xénophane est le premier en Grèce qui ait proclamé ce dogme essentiel dans deux vers immortels[1] que nous a conservés saint Clément d’Alexandrie, et dont voici le sens :


Un seul Dieu supérieur aux dieux et aux hommes,
Et qui ne ressemble aux mortels ni par la figure ni par l’esprit.


Le dieu de l’école d’Élée est une conception déjà admirable ; mais cette unité sublime qui le caractérise est une unité abstraite qui acca-

  1. Clément d’Alex., Stromates, V. — Comp. Eusèbe, Præpar. Evang. XIII, 13.