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la conquête, les temples du royaume de Tezcuco s’ensanglantèrent de nouveau et rivalisèrent avec ceux des Aztèques.

M. Prescott, qui a peu de goût pour les discussions théologiques, a assigné aux sacrifices sanglans des Mexicains des motifs purement humains. J’ai indiqué tout à l’heure, d’après le témoignage même des contemporains et des auteurs de la conquête, ce que j’en crois être la cause supérieure. Toutefois l’observation de M. Prescott subsiste. Tous les actes des hommes, il faut le reconnaître, ont un mobile humain. La politique des empereurs et l’esprit de domination des prêtres s’accommodaient de ces fêtes horribles. Tous les pouvoirs de la terre aiment à inspirer la crainte : ils ne sauraient s’en passer, la crainte crée l’obéissance, qui est dans les nécessités premières des gouvernemens comme des sociétés ; mais ils tendent à dépasser la proportion dans laquelle le jeu de ce ressort est avantageux, et souvent, en place de la crainte voisine du respect, ils vont aux confins de la terreur, s’ils ne les franchissent pas. C’est ce qu’on voit presque partout en dehors de la civilisation européenne, et ce dont souvent cette civilisation elle-même a offert le spectacle dans son propre sein. Ces exécrables sacrifices, chez les Aztèques, n’étaient donc pas seulement conformes à une croyance religieuse qui était sincère, tout le fait supposer, chez les princes et les prêtres ; les uns et les autres en outre les jugeaient utiles à l’affermissement de leur autorité. Comme on l’a remarqué au sujet des spectacles de gladiateurs chez les Romains, la vue du sang entretenait chez les populations l’énergie militaire, et contrebalançait l’influence du progrès des arts et du raffinement des mœurs, qui tendait à les amollir. Ainsi, l’empereur aztèque avait plus de chances d’avoir une bonne armée pour maintenir sous sa loi les peuples qu’il avait conquis. Soit par l’effet de penchans superstitieux, soit par un épouvantable calcul, à mesure que l’empire s’agrandit les sacrifices humains se multiplièrent. Jamais il n’y avait eu autant de sacrifices humains que sous le dernier Montezuma, et ce prince augmentait sans cesse le nombre des victimes. Les compagnons de Cortez eurent la patience et le courage de compter les crânes disposés en trophées dans les enceintes de quelques-uns des temples ; ils en trouvèrent une fois 136,000. L’estimation la plus modérée est qu’à l’arrivée des Espagnols, tous les ans 20,000 personnes étaient immolées. Lors des l’inauguration du grand temple du dieu Huitzilopotchli, à Mexico, en 1486, trente-trois ans avant la conquête, 70,000 victimes, ramassées pendant plusieurs années dans toutes les parties de l’empire, furent égorgées une à une. La boucherie dura plusieurs jours sans relâche ; la procession de ces malheureux occupait deux milles de long.