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en même temps de faire un sacrifice qui inspirât de la terreur à leurs maîtres. Après une longue danse autour de l’idole, ils amenèrent quatre prisonniers xochimilques qu’ils avaient tenus cachés depuis long-temps. Ces malheureux furent immolés avec les cérémonies observées encore lors de la conquête des Espagnols, sur la plate-forme de la grande pyramide de Tenochtitlan, qui était dédiée à ce même dieu de la guerre Huitzilopochtli. Les Colhues marquèrent une juste horreur pour ce sacrifice humain, le premier qui eût été fait dans leur pays : craignant la férocité de leurs esclaves, les voyant enorgueillis du succès obtenu dans la guerre contre les Xochimilques, ils rendirent la liberté aux Aztèques, en leur enjoignant de quitter le territoire de Colhuacan.

« Le premier sacrifice avait eu des suites heureuses pour le peuple opprimé ; bientôt la vengeance donna lieu au second. Après la fondation de Tenochtitlan, un Aztèque parcourt le rivage du lac pour tuer quelque animal qu’il puisse offrir au dieu Mexitli ; il rencontre un habitant de Colhuacan appelé Xomimitl. Irrité contre ses anciens maîtres, l’Aztèque attaque le Colhua corps à corps : Xomimitl vaincu est conduit à la nouvelle ville ; il expire sur la pierre fatale placée aux pieds de l’idole.

« Les circonstances du troisième sacrifice sont plus tragiques encore. La paix s’est rétablie en apparence entre les Aztèques et les habitans de Colhuacan. Cependant les prêtres de Mexitli ne peuvent contenir leur haine contre un peuple voisin qui les a fait gémir dans l’esclavage ; ils méditent une vengeance atroce ; ils engagent le roi de Colhuacan à leur confier sa fille unique pour être élevée dans le temple de Mexitli, et pour y être, après sa mort, adorée comme la mère de ce dieu protecteur des Aztèques ; ils ajoutent que c’est l’idole même qui déclare sa volonté par leur bouche. Le roi crédule accompagne sa fille ; il l’introduit dans l’enceinte ténébreuse du temple : là, les prêtres séparent la fille et le père ; un tumulte se fait entendre dans le sanctuaire ; le malheureux roi ne distingue pas les gémissemens de sa fille expirante ; on met un encensoir dans sa main, et, quelques momens après, on lui ordonne d’allumer le copal. A la pâle lueur de la flamme qui s’élève, il reconnaît son enfant attachée à un poteau, la poitrine ensanglantée, sans mouvement et sans vie. Le désespoir le prive de l’usage de ses sens pour le reste de ses jours. Il ne peut se venger, et les Colhues n’osent pas se mesurer avec un peuple qui se fait craindre par de tels excès de barbarie. La fille immolée est placée parmi les divinités aztèques, sous le nom de Tetcionan, mère des dieux, ou Tocitzin, notre grand’mère, déesse qu’il ne faut pas confondre avec Ève, ou la femme au serpent, appelée Tonantzin.

Bientôt ils mangèrent solennellement les corps des victimes.

Quels que fussent les incidens à l’occasion desquels les sacrifices humains avaient commencé chez les Aztèques, cet usage abominable dérivait non d’une férocité bestiale, mais d’une croyance religieuse. Les Mexicains regardaient le séjour de l’homme ici-bas comme une