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le baron sortit et gagna la porte du château. En ce moment, le cadet de Colobrières et sa sœur revenaient de leur promenade et remontaient lentement le chemin rocailleux qui aboutissait à la plate-forme. Le vieux gentilhomme était bien décidé à en finir avec toutes les résistances ; les révélations de la Rousse avaient blessé ce qu’il y avait en lui de plus vif : le sentiment de son autorité et son orgueil de gentilhomme. Tout ce qu’il avait appris des relations de ses enfans avec la famille Maragnon lui causait une indignation profonde, et il était bien résolu à rendre impossible cette double alliance, que les manans du pays avaient l’impertinence de considérer comme une bonne affaire pour les Colobrières.

Le baron s’arrêta gravement à l’entrée de la plate-forme, et, lorsque ses enfans s’avancèrent pour le saluer, il ordonna du geste à Gaston d’aller rejoindre Tonin dans le verger, et dit à sa fille d’un ton bref :

— Mademoiselle de Colobrières, je désire avoir avec vous un moment d’entretien.

— Je suis à vos ordres, mon père, répondit-elle un peu étonnée de cette formule, que le baron n’employait que dans les occasions solennelles. Il la conduisit à l’extrémité de la plate-forme, et, la faisant asseoir sur le parapet, il prit place auprès d’elle, puis il tira de sa poche la lettre de la mère Angélique de la Charité et la lui remit en disant :— Lisez ; ceci vous fera suffisamment connaître ma volonté. Lisez tout haut.

Anastasie prit la lettre et lut lentement, sans trouble, sans surprise, sans altération dans la voix.


Paris, ce 20 janvier 17…

« MONSIEUR ET TRES HONORE PERE,

« J’ai reçu une sensible joie de la lettre par laquelle vous me marquez que votre intention est de mettre en religion, dans l’ordre de Notre-Dame de la Miséricorde, votre plus jeune fille, ma chère sœur Anastasie. Le cloître est le port du salut pour celles qui, comme les aînées de votre famille, y sont appelées par une vocation véritable. Ce sera avec une satisfaction infinie que je recevrai dans notre maison cette nouvelle épouse du Seigneur, et toute la communauté, aux prières de laquelle je l’ai déjà recommandée, partage l’impatience que j’ai de la voir parmi nous.

« Nos très chères sœurs du couvent d’Aix, auxquelles j’ai écrit,