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— Hélas ! ce bonheur, lui non plus ne le sent pas encore, répondit naïvement Mlle Maragnon ; si vous saviez comme nous avons été tristes et embarrassés tous deux lorsque notre mariage a été résolu ! D’abord, l’on nous en avait parlé séparément ; puis, quand tout a été décidé, Dominique et son père sont venus dans le salon, où j’étais avec ma mère et Mlle de la Roche-Lambert. J’avais le cœur si serré, que je n’aurais pu proférer une parole sans fondre en larmes ; j’allai devant une fenêtre, et je fis semblant de regarder le ciel. Mon cousin s’approcha de ma mère, et lui parla un moment ; il vint ensuite près de moi et me serra la main ; c’est tout ce qu’il put faire, apparemment, pour marquer sa satisfaction. Un instant après, ma mère se leva et emmena Mlle Irène ; mon oncle les suivit, et je demeurai seule avec Dominique. Avant qu’il dût être mon mari, nous causions gaiement ensemble, et c’était entre nous des amitiés infinies ; mais, après ce qui venait de se passer, nous ne trouvâmes plus rien à nous dire. Mon cousin se mit à marcher de long en large dans le salon, et moi, je continuai à regarder par la fenêtre le temps qu’il faisait. Heureusement Mlle Irène revint bientôt. Elle se mit au clavecin, comme pour nous donner la facilité de continuer notre conversation. Cela me fit plaisir, car mon cousin, qui ne peut pas souffrir sa musique, s’en alla tout de suite. Depuis ce jour-là, nous ne nous sommes pas retrouvés seuls, et je crois en vérité que c’est parce que nous nous évitions mutuellement. Il y a trois jours cependant, au moment de partir, Dominique s’approcha de moi comme pour me faire ses adieux en particulier, et me dit d’un ton triste, sans me tutoyer, comme il en avait l’habitude : — Ma chère Éléonore, avant de quitter Belveser, vous reverrez votre cousin Gaston ; dites-lui que je pars avec le regret de ne pouvoir lui serrer une dernière fois la main. — Et à Anastasie ? lui demandai-je, ne dois-je rien lui dire ? — Assurez Mlle de Colobrières de mon respect, me répondit-il ; priez-la de se rappeler quelquefois notre promenade à l’Enclos du Chevrier ; dites-lui encore que toutes les marques de bienveillance dont elle m’a honoré, par amitié pour vous, ont laissé dans mon cœur un souvenir ineffaçable.

Ces paroles répandirent dans l’ame d’Anastasie une secrète consolation ; elle comprit vaguement les regrets qu’emportait Dominique Maragnon, et elle sentit tout à coup en elle-même le courage de souffrir et la force de supporter long-temps la vie morne et solitaire qui l’attendait. Elle serra faiblement la main d’Éléonore ; mais elle n’osa lui répondre.

— Je promis à Dominique de vous dire tout cela, reprit Mlle