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étaient pour nous de bonne prise. Le marteau à la main, nous les poursuivions jusqu’au fond de leurs étroites cavernes, et bientôt nos tubes, nos flacons, se trouvaient amplement garnis. Alors on regagnait le village, on se hâtait de placer les prisonniers dans de grands vases de verre remplis d’une eau limpide qui permettait de suivre leurs moindres mouvemens ; on choisissait les individus qui les premiers devaient être sacrifiés à la science, puis commençait la véritable fête, le moment de l’étude arrivait.

Comme elles passaient rapidement ces heures pendant lesquelles, suivant chacun le filon que nous ouvraient des travaux antérieurs ou l’inspiration du moment, nous exploitions à l’envi la riche mine livrée à nos recherches, et triplions, pour ainsi dire, nos conquêtes personnelles par le labeur et les découvertes de deux compagnons ! Combien elles étaient douces, pour moi surtout, qui, dans mes excursions précédentes, à Chausey, à Saint-Malo, à Bréhat, à Saint-Vast-la-Hougue, avais toujours été seul ! -Seul ! — Ah ! pour comprendre tout ce que ce mot si court exprime de pénible, il faut s’être vu entouré des prodiges de la création vivante sans un ami, sans un être quelconque capable de comprendre et de partager notre ravissement ; il faut avoir poussé dans la solitude des cris d’enthousiasme qui restaient sans écho ; il faut avoir éprouvé le besoin impérieux de communications intelligentes qui s’empare, au bout d’un certain temps, du naturaliste, de l’observateur isolé. Aujourd’hui, quelle différence ! Le travail se faisait à trois : à chaque instant l’un de nous appelait les deux autres pour leur montrer quelque détail curieux, quelque merveille inattendue, et par cet échange continuel de faits, de réflexions et d’idées, sans cesse alimenté par des objets nouveaux, nous multipliions à la fois nos plaisirs et nos acquisitions. Restait-il le plus léger doute sur l’exactitude d’une observation, on vérifiait, avec bienveillance sans doute, mais toujours avec sévérité, et ce contrôle continuel ajoutait encore à nos jouissances en donnant à chaque résultat obtenu le cachet de la certitude.

On comprendra sans peine combien la journée était remplie par ces attrayantes occupations. Le soir, lorsque nos yeux et nos doigts, fatigués par l’usage du microscope, des pinces et des scalpels, exigeaient impérieusement quelque repos, nous sortions du village, et, traversant un bosquet de cactus dont les cimes s’élevaient à quinze ou dix-huit pieds, nous allions assister au coucher du soleil. Du haut d’un mamelon isolé, couronné par une tour en ruines et placé au centre de notre presqu’île, nous voyions l’astre brillant descendre peu