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tous les ornemens du style sicilien, entourés de bouquets d’arbustes élégans et qui venaient se pencher jusque sur le bord de la berge. Au-dessus, comme pour faire contraste, la nature avait placé une de ces belles choses que les peintres, que tous les artistes devraient étudier. Le calcaire poreux et d’inégale densité qui forme la falaise est sans cesse battu par les flots. Attaqué, miné en tous sens par l’ennemi qui se replie autour de ses moindres aspérités, il montre d’innombrables blessures, et surplombe presque partout. Sous ces demi-voûtes couronnées de cactus et d’arbousiers s’ouvre un vrai dédale de grottes. Ici toute description est impossible. Seul, le pinceau d’un habile artiste pourrait peut-être donner une idée de ce mélange incroyable de formes, de couleurs, d’accidens de tout genre ; de ces vastes salles où des barques bien plus grandes que la nôtre auraient pu trouver un asile ; de ces portiques irréguliers aux colonnes bizarrement tourmentées, creusés dans de gigantesques agates, où se mêlent, se heurtent et se marient tour à tour les couleurs les plus disparates, depuis le blanc de lait jusqu’au rouge de sang et au noir de jayet. Mais ce qu’il ne saurait rendre, ce sont ces grottes sous-marines, ces couloirs étroits et profonds, où la moindre vague, effleurant les voûtes à fleur d’eau, s’engouffre en produisant des sons étranges. Le flot léger soulevé par notre modeste embarcation suffisait pour éveiller ces voix de la falaise : on eût dit les grondemens sourds de quelque monstre gigantesque troublé dans son repos. Qu’on juge des rugissemens qui doivent sortir de ces mille bouches, quand viennent les heurter de front de hautes lames poussées par le souffle des tempêtes !

Cependant nous avions doublé le Capo di Gallo : une brise fraîche qui nous prenait en face vint imprimer à notre barque des mouvemens plus saccadés, et prévenir M. Edwards et moi que nous avions à faire notre apprentissage de marin. Le mal de mer se montrait à nous avec toutes ses horreurs. Pour le conjurer, nous déployâmes nos couchettes, et, allongés au fond de la barque, nous dûmes nous contenter de jeter, de temps à autre, un coup d’œil sur la rive qui fuyait à nos côtés. Quant à M. Blanchard, il avait fait ses preuves ; par un privilège qui nous fit pousser plus d’un soupir de jalousie, la mer n’avait aucune prise sur son estomac, et les plus violens coups de roulis ou de tangage n’aboutissaient qu’à redoubler son appétit. Cependant il fut heureux pour tout le monde que notre compagnon ne partageât pas notre infirmité. Couchés côte à côte, M. Edwards et moi nous remplissions tout l’espace réservé à l’état-major. Nos épaules touchaient aux parois de la barque, nécessairement rapprochées vers l’extrémité ;