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en noir animal. Quand nous la visitâmes, la dévastation était complète, et nous pûmes à peine détacher de la voûte quelques fragmens informes qui nous parurent avoir appartenu à un éléphant.

Cependant nous ne perdions pas de vue le sujet principal de notre voyage. Déjà M. Blanchard, chargé de recueillir des insectes pour compléter les collections du Muséum, avait battu les environs de Palerme et la Conca d’Oro. De notre côté, M. Edwards et moi avions parcouru les grèves voisines, cassé des roches à fleur d’eau et soulevé des pierres. Ce que nous avions vu de ces populations marines avait redoublé notre désir de commencer sérieusement nos travaux, aussi pressions-nous autant que possible les apprêts du départ ; mais notre équipement n’était pas petite affaire : nous voulions parcourir les côtes de Sicile pas à pas pour ainsi dire, tout en jouissant d’une entière liberté de mouvement. Nous voulions pouvoir à volonté passer rapidement devant un rivage sablonneux où rien n’aurait compensé nos fatigues, et nous arrêter partout où des rochers couverts de fucus nous promettraient d’heureuses chances, sans être jamais arrêtés par les nécessités de la vie. Voyager ainsi par terre était impossible ; la mer seule pouvait nous permettre d’atteindre complètement notre but, et depuis long-temps nous avions résolu d’exécuter en bateau notre voyage de petite circumnavigation.

Ici pourtant se présentaient quelques difficultés. Parmi nos instrumens se trouvait une grosse pompe foulante à deux corps, destinée aux explorations sous-marines que devait tenter M. Edwards. La manœuvre de cet appareil exigeait une installation solide et la place nécessaire pour mettre en mouvement un balancier semblable à celui des pompes à incendie. Une barque de pêcheur ordinaire devenait dès-lors trop petite, trop peu solide ; un speronare était trop grand : il n’aurait pu pénétrer dans les petites anses et fouiller les moindres anfractuosités des côtes rocheuses ; puis il nous fallait des matelots parlant italien, car l’idiome sicilien, mélange assez incohérent de toutes les langues qu’ont importées en Sicile les nombreux dominateurs de ce pays, était pour nous absolument inintelligible.

Après bien des visites infructueuses au port, nous découvrîmes enfin une barque telle que nous pouvions la souhaiter. Longue de trente pieds, large de six, elle portait à l’avant et à l’arrière une sorte de faux pont d’environ un mètre carré. D’un bout à l’autre et de chaque côté régnait un plat-bord d’un pied de large auquel se rattachaient les bancs de rameurs. D’ailleurs, elle avait fait ses preuves de vitesse et de solidité en franchissant plusieurs fois la mer entre