Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/970

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

irrégulière de quarante à cinquante pieds de profondeur, de vingt à trente de hauteur, dont les parois n’offrent à l’œil que des roches nues où se reconnaît encore le travail des ouvriers que les mirent à découvert. On voit que rien, dans cette caverne, ne mérite l’attention des simples touristes, mais elle avait pour nous un intérêt très réel, car elle nous présentait un bel exemple de caverne à ossemens ou mieux de brèche osseuse, et nous montrait d’un coup d’œil comment se sont formés quelques-uns de ces antiques ossuaires où la science moderne a su lire l’histoire d’un monde que l’œil de l’homme n’a peut-être jamais contemplé.

Depuis que le génie de Cuvier a ouvert aux géologues une route encore inconnue et fondé la paléontologie, on sait quelle importance ont acquise les ossemens fossiles. Ces débris des faunes éteintes sont ordinairement disséminés au sein de diverses couches ; mais, dans quelques localités, on les rencontre en masse, pressés les uns contre les autres, comme si une volonté inconnue avait cherché à les réunir. Depuis long-temps on savait que les cavernes du Hartz et de la Franconie recèlent des amas d’ossemens ; M. Buckland, un des plus célèbres géologues d’Angleterre, montra que ces contrées n’étaient nullement privilégiées à cet égard. En brisant la croûte calcaire qui forme le plancher inférieur de plusieurs cavernes, en remuant les cailloux et les sables cachés sous ces stalagmites, il mit à découvert des trésors paléontologiques dont on était loin de soupçonner l’existence. Dans un limon presque toujours noir et fétide, il a trouvé de nombreux squelettes d’ours et d’hyènes, parfois même de chiens, de loups et de jaguars, appartenant à des espèces d’une taille bien supérieure à celle de leurs congénères actuels. Des os de ruminans, de rongeurs, souvent même d’oiseaux et de grands pachydermes, sont mêlés à ceux de ces espèces carnassières, et l’on retrouve encore à leur surface les traces des terribles dents qui les brisèrent. De l’ensemble de ces circonstances, M. Buckland conclut que ces cavernes avaient été les repaires des animaux féroces dont elles ont conservé les dépouilles aussi bien que celles des victimes qui servirent jadis à apaiser leur faim. Cette explication très plausible fut généralement admise, et ne rencontra d’abord que peu de contradicteurs.

Cependant la science enregistra bientôt d’autres faits qui ne s’accordaient guère avec la théorie du géologue anglais. On découvrit dans des roches calcaires compactes, et dont la masse ne présentait aucune trace de fossiles, des espèces de filons entièrement remplis d’ossemens empâtés dans une gangue différente de la roche elle-même.