Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/960

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Eothen une solennelle ambassade. Ils lui représentèrent l’atrocité du fait, l’indignité qu’il y aurait à céder aux passions brutales du cheikh, surtout le devoir d’un chrétien. Ému d’indignation, il fut tenté de faire un peu de chevalerie en faveur du christianisme outragé et de l’époux privé de sa compagne. Son guide Démétri, fanatique comme au temps de la première croisade, l’y excitait vivement. Par malheur, les envoyés chrétiens chargés de solliciter son intervention laissèrent échapper une parole imprudente. « Si nous la tenons une fois, s’écria le plus furieux, nous la rosserons d’importance ! » L’auteur d'Eothen perdit toute envie de solliciter pour un mari indifférent et des parens furieux.

Quant à Démétri, il voulait absolument que l’honneur chrétien fût vengé, et il agissait dans ce sens avec un zèle extrême. Lorsque Abou-Goush, « le père des mensonges, » qui avait été persuadé par les ducats et les piastres du cheikh, eut opposé aux parens chrétiens des fins de non-recevoir, ceux-ci dépêchèrent à l’Anglais une seconde députation plus pressante que la première. Celui qui prit la parole se montra encore plus courroucé que le premier orateur de la réclamation. L’Anglais répondit qu’il avait bien. réfléchi à cette affaire et qu’il lui était impossible de penser comme eux, que cette jeune fille si prompte à quitter sa famille et sa religion pour quelques bijoux ne lui semblait ni catholique ni mahométane, et qu’il ne fallait pas attacher d’importance aux caprices d’une enfant trop avide de beaux atours ; que, si l’on envisageait la question sous le point de vue temporel, les intérêts de Mariam seraient plus efficacement protégés par son époux musulman que par son époux chrétien ; que le premier des deux était mieux placé dans le monde, plus riche, plus considéré que son rival. Enfin, à la grande horreur de ceux qui l’écoutaient, le voyageur déclara que, selon lui, le cheikh amoureux ferait un très bon mari.

Ce qu’il ignorait, c’est que Démétri avait détruit d’avance tous ses efforts ; notre drogman s’était rendu chez le gouverneur, qu’il avait menacé de la colère de l’Angleterre, de celle de la France et de la Russie combinées. Il lui avait montré l’Europe entière prenant fait et cause pour la chrétienne ; à force de menaces, d’invectives et de mensonges, il avait arraché la promesse de la restitution conjugale, et son maître, qui s’y était si fort opposé, n’en fut averti que long-temps après le départ de Naplouze. Pauvre Mariam ! quels traitemens ont dû l’accueillir à son retour chez son mari chrétien ! à quels chagrins a dû l’exposer l’amour trop vif des topazes montées en boucles d’oreilles et des colliers d’émeraudes !