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d’Achille, d’Homère et de Miltiade. Au milieu de cette atmosphère pure de la beauté hellénique, l’humoriste ne se laisse pas plus entraîner aux séductions du génie grec qu’il ne s’est laissé accabler par l’effroi de la contagion de Stamboul. Il conserve dans sa primitive bizarrerie et dans sa verve « gothique » son esprit d’analyse, de détail et de fantaisie plein de petits détours curieux. Loin de jouer au classique et à l’homérique, il ébauche en passant les moines latins, les marins grecs, les voyageurs irlandais, et sculpte en deux coups leurs caricatures. Quant aux faunes et aux bacchantes, quant aux citations de Théocrite et de Pindare, il n’en a cure, et vraiment il a raison, puisque sa fantaisie l’appelle ailleurs ; j’aime mieux un Charlet naïf qu’un Michel-Ange manqué. La Troade, Homère et le sépulcre de Patrocle le conduisent bien vite à Djiaour-Izmir ou Smyrne l’infidèle ; où il ne s’occupe ni de Smyrne ni des infidèles, mais d’un profil de femme et de son ami l’irlandais Carrigaholt.

C’est l’Irlandais par excellence : il ne marche pas, il bondit ; il ne parle pas, il chante ; il ne chante pas, il éclate. Tous ses goûts sont des passions ; il en change incessamment, et passe d’une fureur pour les tulipes à une fièvre pour les instrumens à vent. Eothen venait d’arriver à Smyrne quand une espèce de cri particulier à Carrigaholt, pénétrant jusqu’au voyageur et traversant trois salles et six portes, lui annonça la présence de l’Irlandais, qui bientôt lui apparut dans sa gloire. La nouvelle fantaisie de Carrigaholt était matrimoniale, et, plein de confiance dans son aptitude au bonheur conjugal, il était venu tenir à Smyrne son quartier-général, vers lequel affluaient et les marchands d’esclaves, et les juifs vendeurs de bijoux, et les pauvres consuls, possesseurs d’une chaumière, de trois poules qui les aidaient à vivre, et de deux filles à marier, qui pesaient fort à leur cœur paternel. Au lever de cet Européen, si ardent à chercher une fiancée à travers le monde, et venu de l’île verte, green Erin, pour faire battre tous les cœurs féminins de la mer d’Ionie, se trouvaient les marchands de pantoufles dorées, les brodeurs de voiles nuptiaux, les graveurs de cassolettes orientales, les fabricans de narghilés, tous ceux, en un mot, qui pouvaient concourir aux desseins conjugaux de Carrigaholt, à l’éclat de son costume, et à la séduction de sa magnificence. Un vieux papas à la barbe blanche lui apprenait à prononcer pour ionien les paroles d’amour : Philé moû, sas agapô ! et un petit Italien bossu plaçait sur les cordes de la mandoline les doigts rebelles de l’écolier. Dans un coin, sous des voiles mystérieux et ne se révélant aux regards de Carrigaholt qu’à la fin de l’audience, la marieuse juive se tenait