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fidèles, il est venu arrêter ses regards sur la figure éclatante du plus magnifique des pachas, le maître de l’admirable et miraculeux pachalik de Karagokougoldour ! » Cette tirade syrienne, arabe ou persane, selon la circonstance, ayant paru interminable au voyageur, celui-ci craint que son interprète n’ait commis quelque sottise, et se retourne vivement : « - Que diable dites-vous au pacha ! je crois que vous lui parlez de Londres. Il va me prendre pour un cockney. Je vous ai toujours recommandé de répéter que je suis gentilhomme de l’Yorkshire, appartenant à l’une des branches de la famille Bowklackwow, propriétaire du parc et du château du même nom ; j’ai eu l’intention de devenir juge de paix de mon comté, et le pair d’Angleterre lord Greatprose m’avait assuré de son patronage auprès des ministres relativement à une belle sinécure, mais il a manqué de parole ; enfin j’ai figuré comme candidat aux élections de Goldborough, et mon élection aurait certainement eu beaucoup de succès, si mon rival n’avait pas acheté mon comté tout entier. Entendez-vous ? quand vous parlez de moi, ne dites jamais que la vérité stricte ! » Le drogman se tait, et le pacha, reprenant la parole : « Que dit notre ami, le soleil levant de Londres ? Y a-t-il quelque chose que je puisse lui accorder dans le pachalik de Karagokougoldour ? » Le drogman très mécontent : « Cet Anglais, venu du pare de Bowklackwow, membre de la susdite famille, et qui aurait été quelque chose dans son pays s’il avait pu, vient d’énumérer ses titres et ses exploits. — La fin de ses honneurs est plus éloignée que les limites de la terre, s’écrie le pacha en caressant sa barbe, et le catalogue de ses qualités est plus nombreux que celui des étoiles du firmament. — Que dit le pacha ? — Le pacha vous félicite. — De quoi ? de n’être pas membre des communes ? Moi, ce que je désire connaître, ce sont les vues et les intentions du pacha relativement à l’Europe, ses observations personnelles sur l’empire ottoman. Dites-lui que nos chambres ont été convoquées, et que le discours du trône renferme la promesse solennelle de maintenir l’intégrité des domaines du sultan. — Hautesse, dit le drogman, cet Anglais, qui aurait été quelque chose dans son pays s’il avait pu, avertit votre hautesse que les chambres parlantes et la chaise de velours de l’Angleterre ont juré de maintenir l’immortalité du trône du sultan. -Merveilleuse chaise de velours ! s’écrie le pacha ; merveilleuses chambres ! (Imitant la machine à vapeur) : Toujours de la fumée ! Ouizz ! ouizz ! Toujours des roues qui tournent ! Brr ! brr ! Tout se fait comme cela en Angleterre. Merveilleux peuple ! machines merveilleuses ! — Ah çà ! dit le voyageur anglais au drogman, qu’est-ce qu’a