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toutes les manœuvres de la diplomatie pour en étouffer le bruit et en cacher la trace. Cependant Chesterfield, qui, malgré le roi, venait d’épouser lady Walsingham, se trouvait pour sa part, ainsi que la duchesse, frustré d’un legs inscrit sur le testament supprimé. En fait d’argent, il était rude jouteur ; il eut vent du testament, menaça, cria, ne recula pas devant un procès à intenter au roi, commença même le procès, obtint de la peur et du scandale ce que l’on n’accordait pas à la justice, et se tut, moyennant une somme importante qu’il toucha.

Ce mariage riche et ce testament supprimé coïncident avec le règne de Robert Walpole : de cette époque date aussi la vive opposition de Chesterfield contre le roi, la cour et le ministre. On lui a fait, à ce propos, l’honneur de le supposer meilleur patriote qu’il n’était. Sa guerre si animée de bons mots, de discours parlementaires, de pamphlets et d’influence sociale, avait des motifs et un but personnels. Whig comme Walpole, ne se détachant de lui par aucun dissentiment de principes, il satisfaisait ses haines, servait ses rancunes, vengeait ses mécomptes, et dissolvait le parti de son adversaire, dans le seul intérêt de sa propre vanité et de son ambition. A propos du bill de douane (excise), il compromit gravement le cabinet ; le ministre plia et laissa passer l’orage. Ses deux frères battaient en brèche Walpole aux communes ; lui-même le foudroyait à la chambre des pairs, qui avait fait de lui son orateur favori. L’émeute se préparait à Londres, et le malin Chesterfield pouvait se vanter d’en être l’un des moteurs les plus actifs. Il allait toujours à la cour, et montait à son ordinaire et fort lestement le grand escalier de Saint-James, lorsqu’un huissier de service lui redemanda sa baguette blanche, le signe de ses fonctions.

Il n’en fut que plus ardent à l’attaque, harcela toujours et ne renversa jamais ; pendant les dix années suivantes, il continua son feu, et ne donna aucun répit à ses adversaires. Robert Walpole, fin dans sa conduite et grossier dans ses mœurs, méprisait les gens de lettres, comme c’est l’usage des hommes positifs que la recherche de l’idéal et de l’art remplit d’un profond dédain. Chesterfield l’accabla de railleries, se lia avec Pope, soupa chez Button, rendez-vous des poètes, publia lui-même les poésies de Hammond, continua l’aimable tradition d’Addison dans la revue hebdomadaire intitulée le Monde, et prit rang parmi les écrivains élégans de son époque. Dans cette revue, il poursuivit à outrance le ministère, le roi et les travers de ses propres ennemis, régla les modes, signala les ridicules, et affermit ainsi l’autorité incontestable dont il jouissait dans les salons. Un de ses plus