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que la compagnie me goûtait. Je parlais aux hommes de tout ce que je pensais pouvoir leur donner la meilleur opinion de mon esprit et de mon savoir, et aux femmes de ce qui ne manque jamais de leur plaire, la flatterie, l’amour et la galanterie. De plus, je vous avouerai, sous le secret de la confession, que ma vanité m’a souvent fait prendre mille peines pour me faire aimer de certaines femmes, alors que je n’aurais pas donné de leurs charmes une prise de tabac. Dans la compagnie des hommes, je tâchais toujours d’effacer ou du moins d’égaler celui qui brillait le plus. Ce désir me poussait à tout tenter pour le satisfaire, et, quand je ne pouvais briller dans la première sphère, il me faisait réussir dans la seconde ou la troisième. Par ce moyen, je devins bientôt à la mode, et, quand un homme est une fois arrivé là, tout ce qu’il fait est bien. C’était un plaisir infini pour moi de considérer ma vogue et ma popularité. Femmes et hommes m’invitaient à toutes les parties, où je donnais en quelque sorte le ton ; ce qui me valut la réputation d’avoir eu certaines femmes du plus haut rang, et cette réputation, vraie ou fausse, m’en valut réellement d’autres. Avec les hommes, j’étais un protée, je prenais toutes sortes de formes pour leur plaire ; parmi les personnes gaies, j’étais le plus enjoué, le plus grave avec ceux qui l’étaient, et je n’omettais jamais les moindres attentions qu’exigent les bienséances, ou les moindres offices d’amitié qui pouvaient leur plaire et les attacher à moi. En conséquence, j’étais bientôt lié avec tous les hommes les plus distingués et les plus en vogue partout où je me trouvais.

« C’est à ce mobile de vanité, que les philosophes trouvent si méprisable et que je qualifierai tout autrement, que je dois la meilleure part du rôle que j’ai joué dans le monde. Il faut plaire, briller et éblouir autant qu’on peut. A Paris, vous devez avoir observé que chacun se fait valoir autant qu’il est possible, et La Bruyère remarque très justement qu’on ne vaut dans ce monde que ce qu’on veut valoir. Lorsqu’il est question d’applaudissemens, jamais Français, homme ou femme, n’est en défaut à cet égard. Observez les attentions éternelles et la politesse qu’ils ont les uns pour les autres ; ce n’est pas pour les beaux yeux de leurs semblables au moins, non, mais pour eux-mêmes, pour des louanges et des applaudissemens. Pratiquez, pour plaire, tout l’art de la coquette la plus raffinée ; soyez alerte et infatigable pour vous attirer l’admiration de tous les hommes et l’amour de toutes les femmes. »

Cette théorie, qui est à peu près celle de La Rochefoucauld, de Hobbes et de Mandeville, ne parvint qu’assez tard chez lui à ce degré