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libre son adversaire, il s’est mis à la tête du parti de l’abolition absolue. Désormais donc c’est une question politique, une question de parti, une question de cabinet, car il y a des ministres tout prêts pour la mettre à exécution. Elle avancera comme a fait la question de l’émancipation, comme a fait celle de la réforme, et arrivera de même au but.

Il ne faut pas croire, cependant, qu’elle triomphera demain. Le parlement actuel a été nommé avec la mission expresse de maintenir les corn-laws, et le parti protecteur y domine encore. Il n’y est faible que lorsqu’il est abandonné par le ministère ; si sir Robert Peel le soutient, comme cela paraît maintenant probable, il conservera encore la majorité. Nous ne croyons donc pas qu’il soit réservé à la session actuelle de voir tomber le dernier boulevard de la protection agricole ; mais il n’est pas moins certain que la ligue a fait un progrès immense, et acquis une force double par l’accession de lord John Russell. Les chefs du parti whig, c’est-à-dire d’un parti qui compte dans ses rangs plus d’aristocratie de naissance et autant d’aristocratie de richesse que le parti tory, s’opposaient encore à l’abolition totale des corn-laws ; ils s’y rallient aujourd’hui sans réserve. Lord Morpeth, ancien vice-roi d’Irlande, vient de suivre l’exemple de lord John Russell, d’autres le suivront encore ; c’est ainsi que cette habile et audacieuse aristocratie britannique, suivant sa politique traditionnelle, se met elle-même à la tête d’une croisade que l’on disait dirigée contre elle, et commande et dirige le mouvement auquel elle aurait inutilement tenté de résister.

Les chambres vont prochainement s’assembler en Espagne ; elles sont convoquées pour le 15 décembre. Le cabinet de Madrid a fait ainsi une réponse péremptoire aux bruits inquiétans qui lui attribuaient l’intention d’ajourner encore le terme de leur réunion, c’est-à-dire d’éloigner le moment où il aura à rendre compte de ses actes. Toutes les questions actuellement pendantes au-delà des Pyrénées vont donc être débattues à la tribune. Peu de sessions auront offert un intérêt aussi varié, aussi réel, aussi profond, si, de concert avec le gouvernement, les pouvoirs législatifs acceptent la tâche laborieuse d’organiser le pays. Cependant le ministère Narvaez paraît devoir rencontrer dès le début d’assez sérieux embarras. La situation politique de l’Espagne, il est vrai, n’a pas changé depuis quelques mois. Nous ne pouvons voir de symptômes bien menaçans dans quelques arrestations opérées à Barcelone, ou dans le mouvement de peu d’importance qui a récemment éclaté à Valence, et a provoqué de déplorables rigueurs. Le parti carliste, malgré son visible empressement à se mêler aux affaires, malgré ses efforts manifestes pour arriver à une conciliation qui le ramène au pouvoir, ne fera pas revivre un principe vaincu, et il ne croit pas lui-même le moment propre à une prise d’armes. Le parti progressiste est certainement plus fort que le parti carliste ; il a obtenu quelques victoires dans les élections municipales, ce qui prouve au moins que la liberté des votes était entière. Il ne faut pas d’ailleurs attacher à ces succès partiels plus d’importance